Monsieur Nounou

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MONSIEUR NOUNOU

POCHADE EN UN ACTE

Par Georges FEYDEAU et Maurice DESVALLlÈRES (INÉDIT)

LE TEXTE

Le texte reproduit dans la présente édition est un manuscrit de copiste, en ronde, portant des corrections et des additions de la main de Georges Feydeau. Les additions concernent sur tout les déplacements des personnages et les emplacements qu’ils doivent occuper sur le plateau. Ces derniers, selon l’habitude de l'auteur, étant indiqués àl'aide de chiffres.

Ce manuscrit ne comporte ni date, ni adresse.

VEAULUISANT

BALIVET

MÉDARD, domesrique de M. Veauluisant

ADÈLE, femme de M. Veauluisant

JUSTINE, nourrice.

La scène àCourbevoie, chez Vealllllisant.

Un salon. Porte du fond donnant sur un jardin - àdroite et àgauche en pans coupés - à droite 1er plan, idem àgauche. Idem àgauche, une cheminée. Entre la porte du fond et celle du pan coupé de droite, un placard.

SCÈNE PREMIÈRE

MÉDARD, JUSTINE

MÉDARD, sortant de droite 1er  plan. - Le café? il chauffe, Monsieur, je vais le surveiller!

JUSTINE, entrant du fond, un baquet plein de finge dans les bras.). - Ouf! je suis éreintée! Quel              métier! (laisse tomber son baquet.)

MÉDARD. - Justine... qu'est-ce que vous avez?

JUSTINE. - Ah! quelque chose de propre que les enfant! J'en suis àla sixième couche.

MÉDARD. - A votre âge !... Quelle fécondité! ...

JUSTINE. - Imbécile ! je vous parle des couches des enfants que j'ai soignés ...

MÉDARD. - A la bonne heure ! je me disais... six enfants! Vous seriez déjàproposée pour la                    pension du Gouvernement.

JUSTINE. - Tu peux y compter !... Ah ! c'est égal! C'est une fichue maison que celle d'Anatole et             d'Adèle.

MÉDARD. - Qui ça, Anatole et Adèle ?

JUSTINE. - Eh bien, M. et Mme Veauluisant, parbleu - nos maîtres - ils ne se contentent pas de me          prendre pour nourrice - il faut encore qu'ils me fichent un moutard sur les bras ...

MÉDARD. - Dame! Comme nourrice !... àmoins que ce ne soit pour nourrir Monsieur.

JUSTINE. - Tiens, il ne s'embêterait pas.

MÉDARD. - Oui, mais enfin, c'est pour le petit Nestor - Nestor! a-t-on idée d'appeler son fils com           ça !

JUSTINE. - Monsieur prétend que c'est pour qu'il soit sage de bonne heure ! Ah ! en voilàun qu'il,           aurait bien dû laisser dans son chou, il vous donne un tintouin... il faut rincer du matin au                    soir. Si encore on avait quelques compensations ! A Paris, ça pourrait aller... mais à             Courbevoie ...

MÉDARD. - Mon Dieu! je reconnais que Courbevoie n'est pas du dernier follichon... ça ne vaut pas         la Reine Blanche ... mais c'est très distingué.

JUSTINE. - Oh ! oui... un trou! aussi c'est de votre faute a vous, si nous avons quittéParis...                     Pourquoi avez-vous été raconteràMonsieur que vous aviez vu un pompier dans ma               chambre?

MÉDARD. - Pourquoi? Mais par jalousie ! Vous savez bien que je me consume pour vous !

JUSTINE (àpart) - Vraiment !

MÉDARD. - Voyons, pourquoi recevez-vous des pompiers:

JUSTINE. - D'abord, il était médaillé- et puis c’est pour me rappeler mon mari qui est pompier                 dans son village.

MÉDARD. - Oh ! alors, si c'est par amour conjugal - je vous passe le pompier - mais il n'est pas                 seul: Monsieur vous a rencontréavec un jeune homme au Luxembourg. Vous n’allez pas me      dire que c'est un pompier, celui-là- comme votre mari.

JUSTINE. - Non, mais il me le rappelait tout de mȇmeàcause de son sexe.

MÉDARD. - Son sexe - son sexe - mais j'en suis aussi vous auriez pu penser àmoi, alors... Enfin?             qu’est-ce que c'était que ce jeune homme ?

JUSTINE. - Vous dire son nom! je ne compromets jamais les hommes !... C'était un nomméBalivet,         un clerc de notaire.

MÉDARD. - Et il vous aime ...

JUSTINE. - S'il m' aime! je ne peux pas m'en débarrasser… je le retrouve partout ! Mais, du ceste,            qu’est-ceça vous fair ?

MÉDARD. - Qu'est-ce que ça me fair? Ah ! on voit bien que vous ne me connaissez pas: je suis                Corse, moi !

JUSTINE. - Vous ?

MÉDARD. - C'est-à-dire pas moi! Mais j'ai mon parrain qui l'est, et si jamais je rencontre ce lapin-l           à...

JUSTINE. - Vous croyez que c'est un lapin ?

MÉDARD. - C'est un lapin. Eh bien! si jamais je rencontre ce lapin roucoulant auprès de vous, je le          tue comme un moineau.

JUSTINE. - Comme un moineau ! Mon lapin! Pauvre chien! mais je vous le défends! Enfin, a-t-on           jamais Vll ! Pourquoi vous mȇlez-vous toujours des affaires des autres ! Comme s'il ne              suffisait pas de m'avoir déjà brouillée avec les maîtres !

MÉDARD. - Je vous ai brouillée, moi ?

JUSTINE. - Oui! vous! Grâce àvos commérages, ils ne sont plus àprendre avec des pincettes. Je les ai tour le temps sur le dos, sous prétexte qu’il y a de la garnison dans les environs.

MÉDARD. - Monsieur craint le Mont Valérien … et il araison.

JUSTINE. - Oui, mais Dieu merci ! tout cela va finir. ..

            Monsieur m'a prévenue qu'il allait chercher une autre nourrice, et j'espère bien qu'avant                  peu ...

SCÈNE II

LES MÊMES, VEAULUISANT, ADÈLE,

de droite, premier pian.

ADÈLE (3). - Ah! Justine !

VEAULUISANT (4). - Médard, va préparer le café!

MÉDARD. - Il est prȇt, Monsieur.

VEAULUISANT (3). - Alors, va voir dans la salle àmanger si i'y suis.

MÉDARD. - Monsieur n'y est pas, Monsieur!

VEAULUISANT. - Vas-y rom de mȇme !

MÉDARD, remontre. - C'est bien! je me retire. J'en arriverais àcroire que je suis de tropo

            sortàdroite pan coupé.

SCÈNE III

VEAULUISANT, ADÈLE, JUSTINE

VEAULUISANT, très digne. - Justine, nous avons tenu, ma femme et moi, àavoir une dernière               conférence, avec vous... (A Adèle.) Asseyez-vous. (Justine s’assied.) Pas vous, un                                 domestique ne doit s’asseoir devant ses maîtres que debout

ADÈLE. - C'est le seul siège qui lui soir permis.

JUSTINE. - Eh bien, alors, pourquoi me dires vous de m'asseoir:

VEAULUISANT. - Eh ! ce n'est pas àvous, c'est àAdèle !

JUSTINE. - Ah ! c'est àAdèle ? Oh I pardon !

VEAULUISANT. - Justine! vos nombreux libertinages ..

JUSTINE. - Ah! mais, dites donc…

ADÈLE. - Gaze! mon ami ! gaze…

VEAULUISANT. - Tu as raison. (A Justine.) Vos nombreux libertinages nous ont mis dans la                  pénible nécessité, comme nous vous l'avons dir, de vous chercher une remplaçante ...

JUSTINE. - Ah! bien! en voilàune qui va rigoler !... Si vous croyez que c'est agréable de vivre avec          votre môme.

ADÈLE. - Môme, Nestor !

VEAULUISANT. - Osez-vous parler ainsi du dernier des Veauluisant ?

ADÈLE. - Dernier! Oh Anatole! Ce n'est pas gentil ce que tu dis là. Tu m'avais promis.

VEAULUISANT - Tu crois? C'est drôle, je ne me rappelle pas du tout... Enfin, j'ai dû mettre cela            sur mon carnet. Mais n'imporre, nous avons donc cherchéune autre nourrice. Ce n'était pas             facile, car ce que nous cherchons avant tout, c'est une nourrice qui eût des principes                       religieux et des moeurs - les principes religieux, passe encore - mais les moeurs ...

JUSTINE. - Eh bien quoi? Tour le monde en a, des meurs! Jen aussi, moi !

VEAULUISANT. - Je ne dis pas le contraire... Seulement, elles sont mauvaises ...

JUSTINE. - Ah ! s'il vous en faut des bonnes!

ADÈLE. - Irréprochables !

VEAULUISANT. - Pas de pompiers, surtout ! Car le pompier nuit au lait. Eh bien! nous avons                 enfin trouvénotre affaire: c'est une rosière.

JUSTINE, rit. - Une nourrice, rosière ! Ah !ça, c'est plusfort, par exemple !

ADÈLE. - Oh! elle ne l'est plus. Mais elle l'a été.

VEAULUISANT. - C'est une demoiselle... mère de famille... Elle a étécouronnée rosière avant sa            faute, ou tout au moins, très peu de temps après. Il était donc impossible de trouver mieux.   Elle s'appelle... Blanquette Mitouflet.

ADELE. - C'est une Bourguignonne... De Bourgogne.

VEAULUISANT. - De maison,... son lait ne peut être que d’un bon cru - du lait de la Côte-d'Or.

ADÈLE. _ Enfin, nous l'attendons d'un moment àl'autre et nous venions vous prévenir que vous              pourriez vous occuper de trouver une autre piace.

JUSTINE. - Ah! si vous croyez que cela n'est pas déjàfait! J’en ai une en vue! Soyez tranquille,                dans le pays, chez le vétérinaire.

VEAULUISANT. - Eh bien, vous pourrez aller vous présenter aussitôt que la bourguignonne sera            ici.

JUSTINE. - Et que cela ne lanternera pas ! Ah ! qu'elle arrive donc vite, votre rosière! cela ne sera            pas trop tôt, car, entre nous, j'en ai joliment soupé, de votrebaraque !

VEAUlUISANT ET ADÈLE. - Baraque !

ADÈLE.  Baraque ! Mademoiselle, vous allez retirer < baraque > !

JUSTINE. - Oh ! du moment que vous y tenez !... Disons< bicoque >.

ADÈLE ET VEAULUISANT. - A la bonne heure !

MÉDARD, paraissant àdroite, pan coupé. - Eh bien ! Voyons ! Le caférefroidit.

VEAULUISANT. - Ah! c'est vrai! Viens, Adèle !

ADÈLE. - Voilà, Anatole! (sortant) Baraque!

(Elle entre dans la salle àmanger avec Veauluisant. Médard les suit, pan coupédroite.)

SCÈNE IV

JUSTINE. - Ah! oui, j'en ai soupéde leur bicoque! Une maison oùil n'est pas permis d’avoir ses               amoureux ! Est-ce que je m'occupe si Madame en a, moi... Après tout, qu'est-ce qu'on a à

me reprocher depuis que je suis ici: un pompier, deux artilleurs, trois maîtres... d'hôtel. .. et un petit clerc de notaire ! Ce Balivet ! et encore celui-là... Ce n'est pas moi qui cours après. C'est lui qui est toujours àmes trousses. Ah! et puis flûte! après tout! S'ils ne sont pas contents, qu'ils aillent se promener. .. Quant àmoi, on me renvoie, je n'en fais pas un clou. Le petit pourra bien faire tout ce qu'il voudra de son linge, moi, voilàce que j'en fais (Elle remonte jusqu'à la porte du fond et jette le baquet clans le jardin.) Aie donc! le baquet !

VOIX DE BALIVET. - Holà! Aie! aie ! aie!

JUSTINE. - Dieu! Monsieur Balivet ! Lui, àCourbevoie !

SCÈNE V

JUSTINE, BALIVET

BALIVET (entrant par le fond, une serviette dans les bras - il est tout ruisselant d'eau - il a des                 couches d'enfant plaquées sur son pantalon). - Sapristi! Je suis trempé ! Vous m'avez passéau bleu.

JUSTINE (rit.) - Ah! ah ! il a une bonne tête! - Croyez que je suis désolée ...

BALIVET. - Çàne sera rien…(retirant les couches de son pantalon.) Mais gli 'est-ce que c'est que           çà?

JUSTINE. - Ce sont les mouchoirs du petit.

BALIVET. - Hein... Des couches !

JUSTINE. - Ah! immaculées! Soyez tranquille! Mais)je n'en reviens pas! Vous ici. Ah! çà, je vous             retrouverai donc partout.

BALIVET. - Partout! belle nourrice ! Vous i'avez dit; partout.

JUSTINE. - Et comment avez-vous découvert ...

BALIVET, (mettant machinalement les couches dans sa poche). - Votre retraite? Ah! voilà! C'est le         hasard qui a tout fait. Vous savez que je suis clerc de notaire! Il ne faut pas confondre. Il y a les clercs d'avoués, les clercs, d'huissiers.

JUSTINE. - Il y a aussi les cléricaux.

BALIVET. - Parfaitement! Il Y a même les clairs de lune, mais cela n'a pas de rapport. Eh ! bien,             moi, jesuis clerc de notaire.

JUSTINE. - Oui, enfin, vous êtes clerc, c'est clair ! …Vous n'avez pas froid?

BALIVET. - Non, cela sèche ! Donc, comme clerc de notaire, j'ai étéenvoyéàCourbevoie pour               faire un inventaire chez une cocotte que l'on veut saisir. Vous savez ce que c'est d'être saisi?

JUSTINE. - Oh! Monsieur Balivet, vous n'êtes pasconvenable !

BALIVET. - T'es bête! Etre saisie, cela veut dire... être saisie. Saisissez-vous ?

JUSTINE. - Ah! très bien !... fallait donc le dire.

BALIVET. - Tiens! je croyais vous l'avoir dit ! Enfin, cet inventaire doit être fait sans retard, car les         cocottes... cela déménage àla cloche de bois... Je passais donc devant la grille, me rendant     chez cette dame... J’ai entendu votre voix; je me suis dit: < C'est elle! > je n'ai fait qu'un                  bond! Je me suis faufiléjusqu'ici, et je suis arrivéjuste àtemps ...

JUSTINE. - Pour recevoir le baquet.

BALIVET. - Ah! il m'a paru doux, lancépar la maindes grâces.

JUSTINE. - Ah ! bien, dites donc... pas plus grasse que vous !

BALIVET. - Atchum! Pristi, cela perce.

JUSTINE. - Tiens, vous vous enrhumez.

BALIVET. - Oui... oui... je... Atchum ! Ah! Dieu me bénisse! Merci.

JUSTINE. - Comment? Dieu vous bénisse !

BALIVET. - Oui, quand on ne me le dit pas, je me le dis moi-même. Atchum! Ah! encore! JUSTINE. - Eh bien, àvos souhaits!

BALIVET. - A mes souhaits, as-tu dit ?

JUSTINE. - Eh bien, oui. Est-ce que j'ai dir quelquechose de mal;

BALIVET. - A mes souhaits. Sais-tu quels sont mes souhaits? Je veux t'avoir àmoi tout seul, le                matin, le soir, la nuit, le jour, àmidi, àune heure et tout le reste du temps. Hein! qu'en dis-   tu ?

JUSTINE. - Je dis... Je dis que vous seriez collant.

BALIVET. - Comme un maillot... Mais d’un collant agréable ! Car tu serais aimée! Tu es jeune, tu            belle, tu es nourrice.

JUSTINE. - Nourrice ! Mais vous n'avez plus besoin d'être nourri, je suppose.

BALIVET. - Oh! Si! Qu' est-ce que tu veux? Chacun a un type, n’est-ce-pas? J’aime les nourrices!           En amour, je suis spécialiste, D'abord, les nourrices, c'est moins cher que les cocottes, et je      raffole de ces femmes là ! Atchum! Dieu me bénisse! Merci.

JUSTINE. - Il n'y a pas de quoi !

BALIVET, (parlant du nez). - Ah! Si bous bouliez!

JUSTINE. - Mouchez-vous donc !

BALIVET. - Berci - Je n'ai pas embue.

JUSTINE. - Si, tout de même !

BALIVET, (tirant une conche de sa poche). - C'est bien bour vous faire plaisir ! (Se mouchant et              rejetant la couche.) Ah! pouah! les couches! Ah! Si bous bouliez.

JUSTINE, (l'imitant.) - Eh bien ! Quoi! Si je boulais ?

BALIVET. - Bous biendriez avec moi. Atchum! Dieube bénisse! Berci. Bous biendriez àParis! Je            bous ferais. Je bous ferais -

JUSTINE, (plaisantant). - Qu' est-ce que vous boufferiez, gourmand !

BALIVET. - Don ! je bous ferais une très belle situation. Je n'ai pas de fortune, bais, bais ...

JUSTINE - Il fait le mouton maintenant. Quel drôle de clerc !

BALIVET. - Bais je gagne 45 francs par bois àhou étude.

JUSTINE. - 45 francs!

BALIVET. - Un bot, un geste, et la boitiéest àbous.

JUSTINE. - La moitié? 22,50 francs qu'est-ce que vous voulez que je fasse de cela ?

BALIVET. - Bous refusez la fortune.

JUSTINE. - Mais certainement! Et si vous m'en croyez, vous allez filer au plus vite, car les maîtres            n'auraient qu'àvous pincer.

MÉDARD, paraît au fondo - Un homme ! Ah! canaille attends un peu... (il sort en courant vers la             droite).

JUSTINE. - Ah! mon Dieu, Médard !

BALIVET. - Bédard! Qui ça, Bédard ?

JUSTINE. - Le domestique !... Partez !

VOIX DE MÉDARD. - Une arme... un fusil!

BALIVET. - Un fusil ? Pour quoi faire ?

JUSTINE. - Mais pour vous tuer !

BALIVET, bondissant. - Be tuer ! ...

JUSTINE. - Il a juréla mort àtous ceux qui me font lacour! Il est terrible ! C'est un Corse.

BALIVET. - Un Corse !... Boi qui suis justement bal abec la Corse !... Je file.

JUSTINE. - Boui! Debêchez-vous! Allons bon! Voilàque je parle comme lui.

BALIVET, (qui et couru cm fond pour s’enfuir, s’arrêtant brusquement). - Sapristi! le voilà! (se précipitant dans la chambre de Justine,) Ah ! ici ! (pan coupégauche.)

JUSTINE, (le suivant). - Hein !... Dans ma chambre!

Mais c'est ma chambre! Monsieur Balivet! Ah! Bien oui, il est déjàsous le lit: il ne manquait plus que cela. Si on le trouve chez moi, cela va encore faire des histoires. (apercevant Médard et Veauluisant qui entrent) Bon! les voilà!

SCÈNE VI

JUSTINE, MÉDARD, VEAULUISANT

MÉDARD, (accourant du fond. Il est arméd'un fusil baïonnette au canon.) - Par ici! par ici ! venez,         monsieur !

JUSTINE, (jouant le calme). - Eh ! mon Dieu ! quel bruit Est-ce qu'il y a le feu ?

MÉDARD. - Oui, riez... Rira bien qui rira le dernier.

VEAULUISANT. - Mais enfin, qu'y a-r-il? Pourquoi ce fusil ?

MÉDARD. - Pour le lui casser sur les reins.

VEAULUISANT. - Eh là! Je te le défends ! le fusil de mes pères!

JUSTINE, (àpart). - De ses pères? Combien donc en a-t-il eu ?

MÉDARD. - Il me faut son sang.

VEAULUISANT. - Son sang? Mais àqui ?

MÉDARD. - A lui ?

VEAULUISANT. - Qui, lui ?

MÉDARD. - Le gredin, le filou qui s'est introduit ici.

VEAULUISANT, (bondissant). - Il y a cles voleurs clans la maison ?

MÉDARD. - Un scélérat que je viens de surprendre avec Justine.

JUSTINE. - Avec moi ?

MÉDARD. - Oui, oui, avec vous.

VEAULUISANT (2). - Quoi, malheureuse ! Vous vous étes encore permis de recevoir chez moi ...

JUSTINE (l), - Moi! jamais. Si vous croyez tout ce que Médard raconte!

MÉDARD (3), (furieux, frappant avec la crasse de son fusil sur le pied de Veauluisant). - Je vous

dit que je l’ai vu.

VEAULUISANT. - Aie! fais donc attention !

MÉDARD. - Ah ! pardon! (A Justine.) Mais je saurai bien le trouver, le gueux. Je vais fouiller la  maison et si je l’attrape...

VEAULUISANT. - C'est ça, fouillons ! Vous, dans la salle, àmanger.

MÉDARD, (qui y regarde, droite, pan coupé). - Personne !

VEAULUISANT, (qui va regarder àdroite, 1er plan). Alors, oùse cache-t-il ?

MÉDARD. - Ah! chez elle! il ne peut être que là.

JUSTINE. - Chez moi! Ah! le malheureux! Il est flambé ?

VEAULUISANT. - Dans sa chambre ! voyons !

JUSTINE, (voulant empêcher d'entrer... se mettant davant la porte). - Dans ma chambre ! Mais il n'y        a personne, je vous assure.

MÉDARD. - Allons arrière! (ouvrant fa porte de la chambre de Justine) Ah ! on ne voit pas clair! Il          a ferméles rideaux.

JUSTINE (2). - Mais pas du tout! C'est pour le petit qui don.

VEAULUISANT, sort, pan coupégauche). - Silence!

JUSTINE (3). - Mais vous allez le réveiller!

VEAULUISANT, dans la chambre. - Sortez, Monsieur!

MÉDARD (1). - Sors, canaille! (Entre dans la chambre,)Mais, sortiras-tu? Le voilà. Je le tiens! Ah!          cette fois, tu ne m’échapperas pas. (Il sort de la chambre en tirant Balivet par fa main.                        Balivet est en costume de nourrice.)

SCÈNE VII

LES MÊMES, BALIVET (en nourrice)

TOUS. - Une nourrice !

JUSTINE, (a part, extrême gauche, 1). - Balivet ? Ah ! elle est bien bonne.

VEAULUISANT (3) (a Médard). - Ah ! ça, quest-ce quetu me chantais ?

MÉDARD (4). - Il me semblait pourtant bien avoir vu un homme, c'est renversant ! (Il frappe avec           la crasse de son fusil sur le pied de Veauluisant.)

VEAULUISANT. - Sapristi! Fais donc attention, àla fin ! Tu m'écrases toujours les pieds.

BALIVET (2), (embarrassé) - Hum ! hum !

VEAULUISANT, (àpart) - Ah ! ça ! qu'est-ce que c'est que cette nourrice là) Elle est charmante.

BALIVET, (saluant, embarrassé), - Messieurs... Dames...

VEAULUISANT, (saluant machinalement). - Ma belle enfant, très honoré! Mais pourrai-je                      savoir ...

BALIVET. - Qui suis-je? Mon Dieu, c'est bien simple !

            Je suis nourrice.

VEAULUISANT. - Je m'en doutais.

BALIVET. - Je suis bourguignonne.

VEAULUISANT. - Bourguignonne. Ah! De Mâcon, sans doute ?

BALIVET. - Oui, si vous voulez.

VEAULUISANT, (àMédard et Justine). - Ah! mais, c’est la nourrice.

MÉDARD. - C'est évident. C'est la nourrice.

JUSTINE. - Ils le prennent pour la nourrice! (rit) Ah !j'en ferai une maladie.

VEAULUISANT. - C'est vous qui êtes Blanquette.

BALIVET. - Blanquette ?

JUSTINE, (riant, àpart). - Ah! Blanquette. C’est-à-dire qu'on dirait du veau.

VEAULUISANT. - Ah! ma femme va être dans une joie ! Nous vous attendions avec impatience.

BALIVET. - Vous m'attendiez. Tiens, je ne m'en seraisjamais douté.

VEAULUISANT. - Mais asseyez-vous donc. Vous devez être fatiguée. Un si long voyage ...

BALIVET. - Ah! vous savez, de Paris àCourbevoie

VEAULUISANT. - Comment, de Paris ?… De Mâcon vous voulez dire ...

BALIVET. - De Mâcon? Ah! oui - oui - je comprends pas du tout ce qu’il veut dire... Enfin ! paraît          que je tombe àpropos ...

VEAULUISANT. - Dites donc - Vous ne voulez pas vous rafraîchir. .. prendre un réconfortant -              Vous êtes pâlotte.

BALIVET. - Ma foi, ça n'est pas de refus.

VEAULUISANT. - C'est ça, Médard: un verre d'eau sucrée, avec de l'eau de mélisse. Tu en                     trouveras sur ma toilette.

MÉDARD. - J'v cours, (A part.) Mâtin, un beau brin de fille! (Il sort par fa droite, premier pian,                emportant son fusil.)

BALIVET. - Ils sont très aimables tous ces gens là. C’est une bonne idée que j'ai elle de me mettre           en nourrice... pendant ce temps-là... mes vêtements sèchent.

VEAULUISANT. - Hein? Elle est très bien, cette nourrice.

JUSTINE. - C'est-à-dire que vous n'en trouverez pas deux commeça.

MÉDARD (rentre). - Voilà, Monsieur! - (àpart) je n’ai pas trouvél'eau de mélisse. J'ai mis de l'eau           de Cologne, avec beaucoup de sucre, ça fera le même effet, et puis ça la parfumera.

VEAULUISANT. - Tenez, buvez-moi ça! - Eh bien, c’est bon ? ...

BALIVET. - Pas mauvais... mais elle a un goût bizarre, vous savez, il faut s'y habituer.

VEAULUISANT. - Ah! c'est de l'eau de mélisse, qu'on fabrique exprès pour moi.

BALIVET - Ça se voir.

SCÈNE VIII

LES MÊMES, ADÈLE (le droite)

ADÈLE. - Mon ami ...

VEAULUISANT. - Ah! Adèle ! c'est la nourrice ...

ADÈLE. - Blanquette ! elle est déjàarrivée ...

BALIVET. - Ah ! ça, pourquoi diable mappellent-ils toujours Blanquette.

VEAULUISANT (à Adèle). - Eh bien? Comment la trouves-tu ?

ADÈLE. - Oui... elle me parait solide.

JUSTINE (àpart). - Comment ! Elle aussi, elle gobe ?

VEAULUISANT (lui prenant le menton). - Et une jolie petite frimousse, tiene, ça pique.

BALIVET (àpart). - Sapristi! je n'ai pas fait ma barbe. (Haut.) En Bourgogne, nous piquons                     toutes... c'est un signe de force

MÉDARD (galant). - Et puis il ny a pas de roses sansépines ...

JUSTfNE (1) (a part). - Quel imbécile ! ...

VEAULUISANT. - Ah! àpropos, vous avez votre certificat ?

BALIVET. - Quel certificat ?

ADÈLE. - Eh bien! votre certificat de rosière...

BALIVET. - Rosière! moi ?

JUSTINE (àpart). - Rosière! il ne pourrait pas être que rosier! Ah! non! ils sont pouffants.

VEAULUISANT. - Vous ne l'avez pas apportéEnfin, ça ne fait rien. (A Justine.) Justine! une                  cuillère…

JUSTINE. - Pour quoi faire ? ...

VEAULUISANT. - Eh bien! pour goûter son lait.

            (Justine rentre premier pian fond droite.)

BALIVET. - Hein ?

MÉDARD. - C'est ça, goûtons, Monsieur !

BALIVET. - Goûteràmon lait !

VEAULUISANT. - A moins que vous ne préfériez que j’y goûteàmême.

MEDARD. - C'est ça! pas de cuiller, àmême, ça vaut mieux. Chacun d'un côté ...

BALIVET. - Ah ! mais! voulez-vous bien me laisser !

JUSTlNE. - Ah ! bien! bon appétit! (àpart) S'ils n'ont queça pour déjeuner !

ADÈLE. - Mais non, mon ami, laisse-la donc cette fille ...

            D'abord, après un voyage, on ne peut pas juger... le lait a étéagité...

VEAULUISANT. - C'est vrai... le lait agité, ça devient du beurre... il doitêtre en beurre. Du reste,           c'est inutile. Vous êtes bien constituée… votre santéme paraît robuste... nous vous prenons.

BALIVET. - Comment ! vous me prenez ?

ADÈLE. - Eh bien! comme nourrice.

BALIVET (bondissant). - Comme nourrice ? Moi !

JUSTINE (qui est descendue (2)). - Eh bien oui ! je m’en vais! c'est vous qui me remplacez.

BALIVET. - Vous remplacer ! mais c'est impossible! l' ne peux pas ! (àpart) Et mon inventaire !

VEAULUISANT. - Comment! vous ne pouvez pus ? Vous n'allez pas avoir des caprices? C'est une         affaire entendue... Nous vous donnons 80 francs par mois…20 francs àla première dent ...

BALIVET. - A ma première dent ?

VEAULUISANT. - Eh non ! je m'en moque pas mal de votre dent! A la première dent du petit! et           20 francs quand on le sévrera.

BALIVET (àpart). - Ah bien! alors, il pourrait bien nu: les donner tout de suite.

ADÈLE. - Maintenant, Justine va vous conduire dans votre chambre. Ah ! je dois vous dire que,              comme nous sommes un peu àl'étroit ici, pour un ou deux jours, jusqu'àce que Justine ait trouvéune piace, on vous mettra dans la même chambre.

VEAULUISANT. - Oui, cela vous est égal, n'est-ce-pas ?

            Vous coucherez dans le même lit !

BALIVET. - Comment clone ! mais avec plaisir !

JUSTINE (2). - Ah ! non ! merci ! pas de ça !

MÉDARD. - Pristi! ça n'est pas moi qui refuserais...

ADÈLE. - Enfin! vous vous entendrez ensemble !

JUSTINE. - Oui, nous nous entendrons. Allons, veneznounou !

VEAULUISANT. - C'est cela ! Ensuite, on vous présentera àNestor ! Il fait sa sieste pour le                    moment.

BALIVET (àpart). - Oui, compte là-dessus! la chambre donne sur le jardin: je saute par la fenêtre et        je file. (Entreàdroite d gauche, pan coupés).

MÉDARD (àpart, au fond, près de fa porte du pan coupé). - Ah ! quelle femme ! je vais lui faire                         des vers en nettoyant les miens! (sort àgauche par le fond).

SCÈNE IX

VEAULUISANT, ADÈLE

VEAULUISANT. - Ah! cette fois, je crois que nous avons eu la main heureuse !... Est-elle bâtie!              Nestor aura làune nourrice !

ADÈLE. - Oui, je crois qu’il sera bien nourri! il en abesoin ! il est si fluet !

VEAULUISANT. - Parbleu! avec Justin! Veux-tu que jete dise ' elle manquait de lair, Justin !

ADÈLE. - Je n'en serais pas étonnée... tandis que celle-là! ...

VEAULUISANT. - Celle-là! elle doit donner des 10 litrespar jours, je vois ça tout de suite, moi, je          suis un peu médecin! Et puis, elle n'est pas bordelaise comme Justine... C'est une                                   bourguignonne ...

ADÈLE. - Eh bien ?

VEAULUISANT. - Eh bien, depuis le phylloxera, le Bourgogne vaut bien mieux que le Bordeaux.

ADÈLE ET VEAULUISANT. - Quel est ce bruit ?

            (Bruit de voix.)

SCÈNE X

LES MÊMES, MÉDARD, BALIVET

MÉDARD (entrant avec Balivet). - Allons ! Venez ! appuyez-vous sur moi '

BALIVET (boitant.) - Pristi! je me suis tournéle pied.

VEAULUISANT. - Qu'est-ce qu'il y a?

MÉDARD. - Ah! Monsieur ! j'en suis encore rom retournél C'est mam'zelle Blanquette que je viens         de surprendre en train d'enjamber. ..

VEAULUISANT ET ADÈLE. - Quoi ?

MÉDARD. - La balustrade de la fenêtre... elle a sautédans le jardin ' a-t-on idée de cela ? ...

VEAULUISANT. - Ah! malheureuse! vousères folle!

            Qu'est-ce qui vous a pris de sauter ...

            (Il a gagnéle fond et se dispose àsortir, entre Médard)

MÉDARD (venant de fa cuisine, une bouillotte àla main)

            (1). - Elle !... (haut) mam'zelle! mam’zelle !

BALIVET (2). - Quoi ?

MÉDARD. - Rien !... j'ose pas !

BALIVET. - Eh bien! alors! fichez-moi la paix! (sort, fond vers fa gauche en berçant l'enfant; Do!            Do! l’enfant do ! ...

SCÈNE XII

MÉDARD (l), voix de VEAULUISANT (2)

MÉDARD. - Eh bien! voilà! j'ai pas osé! je m'étais dit j'oserai, en versant mon eau chaude... j'ai pas          osé...

VOIX DE VEAULUISANT (àpart). - Médard!

MÉDARD. - Voi là, Monsieur! Ah ! quelle femme! Voilà une vraie femme !... C'est solide! c'est               ferme! un vrai marbre ! en bois! et ses pieds, donc !

VOIX DE VEAULUISANT. - Médard !... mon eau chaude!

MÉDARD. - Voilà, Monsieur! vous n'avez pas vu ses pieds... àdormir debout! Elle ne peut pas                tomber! Elle est cene fois mieux que Justine et si j'osais lui parler... ce n'est pas elle qui                    m’enverrait promener.

VEAULUISANT (entrant de droite; if est en manches, avec une serviette au cou). - Eh bien! cette           eau chaude?

MÉDARD (continuant sans répondre àVeauluisant), - Ce n'est pas elle qui me dirait ...

VEAULUISANT. - Eh bien ?

MÉDARD (tendant fa bouillotte sans se retourner). - Allez vous coucher !

VEAULUISANT. - Comment? que j'aille me coucher?

MÉDARD. - Ah! pardon! ce n'est pas àvous que je parle.

VEAULUISANT. - J'aime àle croire ! (il rentre avec la bouillotte dans la chambre).

MÉDARD. - Ah ! je veux !... Tiens! qu'est-ce que j’ai donc fait de mon eau chaude? Ah! c'est vrai,          je l'ai donnée àmonsieur! ah! cette femme me fait perdre la téte! (gagne la gauche)

BALIVET (entrant précipitamment du fond, son bonnet sur le nez, sa robe déchirée - l'enfant sous           le bras)

(2). - Ouf!

MÉDARD (àpart) (1). - Elle! je me risque! (haut) Mam'zelle !

BALIVET. - Flûte!

MÉDARD (àpart). - Elle n'a pas l'air très bien disposée... mais je reviendrai (il sort par la gauche).

SCÈNE XIII

BALIVET, puis VEAULUISANT

BALIVET (seul). - Ouf! c'est complet ! j'arrive àl'Église! avec mon marmot dans les bras, je me               sens taper dans le dos par un monsieur qui me demande le chemin. Je me retourne. C'était      mon patron qui s'écrie: < Mais! j'ai vu cette tête-làquelque part! > Je pousse un cri, je le                         bouscule -, il me rattrape par le pan de ma robe... craque... le morceau lui reste dans la               main... Je détale et me voilà. Ah! je suis dans un joli pétrin! Enfin ! est-ce que je vais rester     nourrice jusqu'àla fin de mes jours? Avec cela, le petit va s'apercevoir que je ne le suis pas.             Il va me trahir !

VEAULUISANT (entrant, survenant de droite; il est en pantalon et gilet) (2). - Sapristi! ma boucle          a craqué! Hein! Blanquette) Comment ères-vous déjàrentrée)

BALIVET (1). - Ah! voilà! c'est... c'est l'orage, Monsieur.

VEAULUISANT. - L'orage ! il fait un temps superbe !

BALIVET. - Ici, oui... mais sur la place de l'Eglise! vous ne pouvez pas voir d'ici... ça tombe ! oh!            ça tombe !

VEAULUISANT. - Il pleur ?

BALIVET. - A verse, Monsieur. Des hallebardes! grosses

            comme des petits pois !

VEAULUISANT. - C'est très curieux! mais il ne s'agir pas de cela: maintenant que vous avez                   promenéle petit, vous n'êtes plus nourrice.

BALIVET. - Ah! enfin !

VEAULUISANT. - Vous devenez femme de chambre!

BALIVET. Femme de chambre !

VEAULUISANT. - Oui, vous allez me recoudre la boucle de mon pantalon: en mettant nes bottines        (qui ne voulaient pas entrer…j’ai tiré…j’ai fait : < Ouf > ma boucle a craqué.

BALIVET (àpart). - Comment, il va falloir falloir recoudre maintenant ?

VEAULUISANT. - Tenez! là! sur la cheminée! vous trouverez des aiguilles et du fil. ..

BALIVET (ahuri). - Ah! je trouverai ! (àpart) Diable ! Diable! Diable! Diable ! Diable! Tenez !                prenez-moi donc le petit! ne le remuez pas trop! car il dort! (p. 2àla cheminée)

VEAULUISANT (prend l'enfant) (l). - Il ronfle même ! quelle précocité! Ah! ce sera un grand                 homme! Eh bien! trouvez-vous ?

BALIVET (cherchant àenfiler son aiguille) (2) - Oui, voilà... seulement c'est pour enfiler: je vois double et je mets entre ...

VEAULUISANT (prenant le fil et l'aiguille, donne l’enfant) - Allons! donnez-moi ça! Cela me                 connaît ! Ah ! mon Dieu ! Qu'est-ce qu'il est donc arrivéàvotre robe?

BALIVET (àpart, avec l'enfant) - Sapristi ! (haut) Oui, vous voyez... c'est ma robe ...

VEAULUISANT. - Parbleu! je le vois bien que c'est votre robe ! mais cela ne m’explique pas ...

BALIVET. - Qu'il en manque une partie ? Eh bien! ...

            Voilà! j’ai rencontréun pauvre qui demandait l'aumône... peu vêtu... alors, j'ai fait comme             saint Martin, je lui ai donnéla moitiéde ma robe ...

VEAULUISANT. - Oui ! il s'en fera un caleçon !... Ah! tenez! voilàvotre aiguille! (s'assied à                  gauche) Maintenant, recousez-moi cela... (reprenant f'enfant).

BALIVET. - Cela serait plus commode si vous étiez debout.

VEAULUISANT. - Ah ! c'est que le petit m'éreinte les bras.

BALIVET. - Après tout, cela m'est égal. (Il coud la boucle).

VEAULUISANT (assis). - Bien fon, n'est-ce pas? Cela craque tout le temps! Aïe! vous me piquez !

BALIVET. - Ne fai l'es pas attention ! c'est la pointe !

VEAULUISANT. - Ne faites pas attention ! ne faites pasattention! Aïe! Comment, encore ! mais            ah! ça! vous ne savez donc pas coudre?

BALlVET (àpart). - Dame ! on ne nous apprend pas ça àl'Etude !

VEAULUISANT. - Eh bien ! voyons! ça y est-il ?

BALIVET. - Cela y est: et je vous promets que celatiendra!

VEAULUISANT (2). - Merci ! (il se lève. Balivet qui amis la boucle a trouvémoyen d'y prendre le         barreau de la chaise, si bien que la chaise de Veauluisant reste attachée àV). Ah! mon Dieu!   qu'et-ce qui me tiredans le dos !

BALIVET (1). - Sapristi! Je vous ai cousu àla chaise !

VEAULUISANT (se tourne). - Triple buse, va! C'est que cela rient (àBalivet, lui donnant l'enfant)          mais prenez-moi donc Nestor ...

SCÈNE XIV

LES MÊMES, ADÈLE

ADÈLE (entrant de droite les cheveux empapillotés, un seau dans chaque main) (3) - Blanquette!             Blanquette! (àVeauluisant) Ah! mon Dieu ! Qu'est-ce que tu as dansle dos? Tu n'as pas vu?

VEAULUISANT (2). - Comment ? si je n'ai pas vu! C’est Blanquette qui m'a cousu àla chaise ! ...

ADÈLE (déposant les seaux). - Ah! mon pauvre ami!

            Vite! des ciseaux !

VEAULUISANT. - Oui, des ciseaux ! vous n’entendez donc pas, Blanquette ?

ADÈLE (qui a pris des ciseaux sur la cheminée àdroite) - En voilà! attends ! ne bouge pas ! Je ne            te ferai pas de mali ...

            (enlève la chaise qu'elle met au fond).

VEAULUISANT. - Ouf ! ce n'est pas malheureux! Ah ! c'est égal! il vaut encore mieux fai re ses                         affaires soimême! Satanée Blanquette! C'est peut-être une bonne nourrice! mais elle                       n'entend rien àla couture! (sort droite, 1er pian).

BALIVET (àpart) (l). - Je voudrais bien t'y voir ! ti puis zut ! il n'a qu'àne pas me faire coudre.

ADÈLE. - Ah! c'est intelligent ce que vous avez fait là! mais, dires-moi, vous voyez ces deux                  seaux... vous allez les prendre... C'est !'heure du bain de Nestor Vous allez courir chercher de         l'eau au puits ...

BALIVET. - Chercher de l'eau ? ...

ADÈLE. - Eh bien oui, pour remplir la baignoire. Vite allez!

BALIVET. - Mais, madame ...

ADÈLE. - Je vous attends dans la salle de bains! Dépêchez-vous! (sort par fa droite).

SCÈNE XV

BALIVET, puis MÉDARD

BALIVET. - Allons! bon! me voilàpassébaigneur! Ah ! quel métier! mon Dieu ! (l'enfant crie) Ah!          tu commences àm'agacer, toi! une fois, c'est peut-être drôle, mais il ne faut pas en abuser!     (il hurle) Veux-tu te taire! Attends un peu! (courant au placard du fond et l'ouvrant - il                        éternue) Pristi! que ça sent le poivre, là-dedans... après tout, ça conserve! (il met l’enfant                  dans le placard) Là! comme ça, il ne fera pas de bêtises, pendant que je ne serai pas là!                        (avec résignation, prenant les seaux) maintenant, allons au puits !

MÉDARD (entrant de gauche, un papier àla main et lisant) (1). - Oh! Blanquette! que je voudrais            que tu m'aimâsses. Je sens que je m'aimerais, si j'étais àta place. Ah! c'est pas mal              (apercevant Balivet) Oh! oùallez-vous ?

BALIVET (2). - Chercher de J'eau, parbleu! pour le bain du petit.

MÉDARD. - Chercher de J'eau? Vous fatiguer! mais je ne souffrirai pas! Voulez-vous bien me donner ça !

BALIVET. - A la bonne heure! il est complaisant au moins, celui-là!

MÉDARD. - Ah! mais! (àpart) Ah! qu'elle est belle, tout de même, cette femme!

BALIVET (àpart). - Qu'est-ce qu'il a àme regarder comme ça?

MÉDARD (àpart). - Ah! ma foi, tant pis, je me lance! (Haut) Mam'zelle ...

BALIVET (àpart). - On dirait qu'il me fait de l'oeil !

MÉDARD. _ Mam'zelle Blanquette! (il lui porte une botte).

BALIVET. _ Eh bien ? Qu'est-ce qui vous prend ?

MÉDARD. _ Votre coeur ne vous dit rien? (il 111 i porteune nouvelle botte).

BALIVET (àparti. - Ah ! ça ! C'est un maltre d'armes!

            (haut) Qu'est-ce que vous avez ?

MÉDARD. - Ce que j'ai? J'ai que je ne peux plus me taire, il faut que j'éclate !

BALIVET. - Hein ? vous êtes chargé?

MÉDARD. - Enfin! je suis bête! idiot !

BALIVET. - Ca se voit !

MÉDARD. - Mon coeur n'a pu rester insensible àrant de charmes... je vous aime.

BALIVET. - Comment ?

MÉDARD. _ Jai étéjusqu'àvous faire des vers: les voilà! vous les lirez '

BALIVET. - Des vers ! àmoi ?

MÉDARD. - Oui, je suis devenu poète pour vous. Ah! c'est que vous ne savez pas jusqu'oùva mon          amour. Mais ne craignez rien, c'est pour le bon motif.. Je viens vous offrir mon nom ...

BALIVET (àpart). - Il aime les nourrices !

MÉDARD. - Vous vous taisez! vous n'eri voulez pas?

BALIVET (àpart). - Ah! mais il m'ennuie!

MÉDARD. - Blanquette!

BALIVET. - Zut !

MÉDARD. - Ah! Blanquette! Votre main! accordez-moivotre main !

BALIVET (2). - Ah! quelle scie! (lui donnant un coup de pied) Tiens, prends! (il prend les seaux et          remonte au fond)

MÉDARD (2). - Mais c'est pas votre main... c'est votrepied... il y a maldonne. (le suit) Voyons,               Blanquette!

BALIVET (l). _ Ah! mais, vous m'agacez, àla fin!

MÉDARD (il lui prend la taille). - Ma petite Blanquette .... votre main ....

BALIVET (le giflant). - Eh bien! riens! la voilàma main! a-t-on jamais vu! (sort…).

MÉDARD. - Ah! quelle giroflée àcinq feuilles !

SCÈNE XVI

MÉDARD (1) puis JUSTINE (2).

MÉDARD. - Mâtin! elle a une fière poigne, pour une femme! ça n'est pas naturel !

JUSTINE (entrant du fond). - Eh bien! me voilàbien…! moi ....

MÉDARD. - Justine! qu'est-ce qu'il y a?

JUSTINE. - Je viens de chez le vétérinaire! un pingre ! il m'a interrogée! Il m'a demandémes                    certificats: il m’a même fait essayer par le petit, après quoi il m'a dit < Non, décidément,                     j'aime mieux une chèvre: il n'y a pas de gages àpayer. > .

MEDARD. - Oui!! et ave c le trop plein, on peut faire: des fromages ...

JUSTINE. - C'est égal: avec tour ça, je suis sans place, moi! (Remonte un peu.)

SCÈNE XVII

LES MÉMES, ADÈLE, M. (l), J. (2), A. (3).

ADÈLE (3), - Eh bien, voyons et ce bain? Blanquette ! Elle n'est pas là! Hein? Justine ?

JUSTINE (2). - Oui. Je venais chercher mes hardes.

ADÈLE. - vous n’avez pas vu Blanquette ! C'est insensé! elle devait aller chercher de l'eau! Qu'               est-ce qu'elle fait? (on entend l'enfant éternuer dans le placard).

TOUS, ensemble. - A vos souhaits !

ADÈLE. - vous vous êtes enrhumée, Justine ?

JUSTINE. - Ce n'est pas moi, c'est Médard.

MÉDARD. - Pas du tour, c'est Madame. (Nouveauxéternuements).

ADÈLE. - Encore! Ah! ça... Qu'est-ce que c'est que ça ?

MÉDARD. - On dirait que ça sort du placard.

JUSTINE. - C'est les rats !

MÉDARD (qui entend «scélérat »). - Moi!

JUSTINE. - Non, je dis: < c'est les rats >.

ADÈLE (va ouvrir le placard). - Il faut mettre des pièges: (poussant un cri) Ah !

MEDARD ET JUSTINE. - Quoi ?

ADÈLE. - Mon Dieu! mon fils dans le placard!

JUSTINE. - On a mis Nestor au poivre ...

ADÈLE. - Oh! c'est une indignité! A-t-on jamais vu une nourrice pareille! mon pauvre chéri (elle embrasse le petit). Tenez, Justin, portez-le dans son berceau. (Justin sort l'enfant et revient       aussitôt sans lui.)

SCÈNE XVIII

LES MEMES, VEAULUISANT (accourant de droite)

VEAULUISANT (un télégramme àla main) (3). - Adèle, Adèle! Ah! te voilà! Tiens, lis !

ADÈLE. - Un télégramme (lit): < Pars de Mâcon ! arriverai demain soir! Blanquette Mitouflet >

JUSTINE (2) (Au-dessus remonte et descend 4). - Aïe! aïe ! ça se gâte ....

ADÈLE. - Ah! mon Dieu! qu'est-ce que cela veut dire?

VEAULUISANT. - ça veut dire qu'elle arrivera demainsoir.

MÉDARD (1). - Demain soir!

ADÈLE. - Eh bien, alors, qu'est-ce que c'est que cette nourrice-làì

VEAULUISANT. - Ah! ça, je te le demanderai, par exemple!

MEDARD (1). - C'est donc une fausse Blanquette ?

VEAULUISANT. - Nous allons bien savoir! (appelle) Blanquette! (Veauluisant va dans la chambre         de Justine, entre et ressort aussitôt avec les vêtements d'homme de Balivet) Ah! mon Dieu !    ...

ADÈLE. - Qu'y a-t-il ?

VEAULUISANT. - Tiens! regarde ce que je viens de trouver!

JUSTINE (àpart) (4). - Les frusques de Balivet, saprelotte!

ADÈLE ET MÉDj\RD. - Des vêtements d'homme!

VEAULUISANT (2). - Mais àqui?àqui? Ah ! une carte: (lit) < Balivet, clerc de notaire. >

MÉDARD. - Balivet! c'était !... et moi qui lui ai demandésa main! (àVeauluisant) Il y a < Balivet > ADÈLE (3) VEAULUISANT (2). - Vous le connaissez ?

MÉDARD. - Si je le connais... mais c'est le clerc a Justine!

JUSTINE (4). - Veux-tu bien te taire ! ...

MÉDARD. - Non! Je ne me rairai pas. Le bonhomme du Luxembourg ! je savais bien que j'avais vu         un homme !

JUSTINE. - Animal! va!

VEAULUISANT. - Quoi ! c'était lui, qui...

MÉDARD. - Osez donc le nier ...

JUSTINE. - Eh! je ne le nie pas, puisque je ne peux pas faire autrement.

ADÈLE. - Mais alors, ce costume ...

JUSTINE, - Un déguisement ! c'est ma robe, parbleu ! Ma robe de dimanche (redescend avant-                scène droite).

VEAULUISANT. - Ta robe! Une robe du Bon Marche ! très chère... à42 francs, que je t'ai

donnée... Ah! canaille! (àAdèle) Tu ne sais pas ce qu'il en a fait! Il en a donnéla moitiéà

un pauvre. Ça ne m’étonne pas qu'il soie si large ! Ah ! gueux! Ah! gredin! Oùest-il ?

SCÈNE XIX

LES MÊMES, BALIVET (2)

BALIVET (2). - Il ne manquait plus que ça... j'ai laissetomber mes deux seaux dans le puits.

VEAULUISANT ET ADÈLE ( ... ). - Ah! le voilà!

VEAULUISANT. - Arrêtez-le !

JUSTINE (remonte vers le fond et reste au-dessus). - Sauve qui peut !

MÉDARD. - Nous le tenons !

BALIVET (ahuri). - Qu'est-ce qu'il y a?

VEAULUISANT (1). - Rends-moi le bonnet, filou... rends-moi la robe' (le déshabille).

ADÈLE, - Mettez-le tout nu !

JUSTINE (2), (au-dessus). - Eh! Eh! elle ne s’embête pas.

BALIVET. - Tout nu !... mais voulez-vous bien me laissertranquille!

VEAULUISANT. - Là! voilàqui est fait!

BALIVET. - Voilàqui est fait! voilàqui est fait ' Mais je gèle, moi ! ...

MEDARD. - Espèce de clerc, va ! ...

BALIVET (en caleçon et en gilet). - Mais enfin, m’expliquerez-vous ?

VEAULUISANT (lui mettant la carte sour le nez). - Tiens!

BALIVET (àpart). - Pincé'... (haut) Eh bien, après tout, j'aime mieux cela ! Voi làassez longtemps          que je suis nourrice! Je ne me sens rien de ce qu'il faut pour ce métier-là!

MÉDARD (1) (navré). - C'était un homme ! Je n'ai décidément pas de veine avec les femmes!                  (gagne l'extrémitégauche).

JUSTINE (descend (2) àBalivet). - Ah' dites donc! Jesuis sans piace... m' offrez-vous toujours vos          45 francs ?

BALIVET. - Ah! non! Ah! non !... par exemple! J’en ai assez des nourrices… J’y renonce !

JUSTINE. - Girouette, va ! ...

VEAULUISANT. - Et maintenant... nous vous rendonsvotre liberté, monsieur, sortez !

BALIVET. - Comme cela' Mais je ne peux pas sortir en caleçon ?

VEAULUISANT. - Tenez ! voilàvos nippes !

BALIVET (s' habillant). - Enfin! je cours faire mon inventaire ! Il n'est que temps !

JUSTINE. - Et moi, je retourne au pays... voir mon mari... je commence àn'être plus nourrice... je             vais merefaire ...

M. (1), J. (2), B. O), V. (4), A. (5)

RIDEAU