QUAND ÉPOUSEZ-VOUS MA FEMME ?
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Acte1 |
DECOR: Living-room d'un
rez-de-chaussée chez un psychiatre dans le XVIe. A l'arrière-plan, on peut
passer des chambres (sortie de gauche) au vestibule porte palière (sortie de
droite) qu'on ne voit pas. C'est, si l'on veut, un passage intégré au living,
qui peut se détacher par un discret encadrement afin de donner aux entrées et
sorties leur relief. |
ACTE I |
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Au lever
du rideau, Bertrand, en robe de chambre et assez débraillé, est à moitié
étendu sur le canapé. BERTRAND. Décidément, elle casse beaucoup ! DOLLY. - Et elle choisit toujours son moment ! BERTRAND. - Allez ! Debout ! DOLLY. - Déjà, mon biquet ? Tu étais si inspiré ! Vous n'êtes plus un biquet, mais un lion ! BERTRAND. Le samedi, toujours. DOLLY. Je croyais au contraire que tu me désirais davantage devant tes clients." Mon assistante, vous ne vous en doutez pas, hein ? Eh bien ! C'est ma maîtresse! " BERTRAND. - Il faut être fou, remarque, pour ne pas s'en douter. Mais comme c'est leur cas... C'est vrai, mes cinglés me font apprécier ton bel équilibre mental... et physique. Je te désire en semaine. Je te le prouve le samedi. DOLLY. Ben, tu continueras la preuve à Deauville. Il est trois heures. Moi, ma valise est faite. Pas toi. Hop ! En route! BERTRAND. - Ne me bouscule pas. Je n'aime pas qu'on me bouscule. Il faut que je parle à l'idiote. Passe ta blouse, c'est une primaire à tabous multiples. DOLLY. - C'est-à-dire? BERTRAND. - Une fille à principes. (Il appelle) Laetitia ! Et ça s'appelle Laetitia ! ( Entrée de Laetitia.) Laetitia, c'est votre premier samedi dans cette maison. Tous les samedis je pars en week-end. Donc pas de consultations. Donc ne recevez per-sonne. LAETITIA - Oh ! je vois pas qui je pourrais recevoir, j'ai pas encore eu le temps de me faire des relations à Paris. BERTRAND. - Je parlais pour moi. LAETITIA. - Et Mademoiselle ? BERTRAND. - Eh bien, Mademoiselle n'est pas là non plus. LAETITIA. - Ah ! Ben oui. Elle part en week-end avec Monsieur. BERTRAND. - Non. LAETITIA. - Elle ne part pas ? BERTRAND. - Si. Mais vous n'avez pas à le dire. " Mademoiselle n'est pas là. " Un point c'est tout. LAETITIA. - Bien. DOLLY. - Non. Pas Mademoiselle. " Madame n'est pas là. " Appelez-moi Madame. LARTITIA. - Moi je veux bien. Mais Monsieur m'a dit d'appeler Mademoiselle Mademoiselle ? BERTRAND. - Dans mon cabinet devant les clients, on dit " C'est un client Mademoiselle. " Devant les invités, ici, on dit " Madame est servie. " Compris ? LAETITIA. - Oui. D'un côté de la porte, c'est Mademoiselle. De l'autre, c'est Madame. BERTRAND. - Voilà. LAETITIA. - Et si un invité est en même temps un client ? BERTRAND. - Ça n'arrive jamais. Je n'invite pas mes clients. Je ne suis pas fou, moi ! |
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LAETITIA. - Bien, Monsieur le Psychiatre. (Elle prononce à l'auvergnate.) BERTRAND, la reprend. - Psychiatre. Et appelez-moi Docteur. LAETITIA. - Même devant vous ? BERTRAND. - Oui. LAETITIA. - Et des deux
côtés de la porte ? LAETITIA. - Alors je dois dire " Le Docteur est servi " ? BERTRAND. - Oui. Mais non : Monsieur. Puis-qu'on dit " Madame est servie " n'allez pas encore compliquer les choses ! Et sortez-moi ma valise ! Et ne discutez pas tout le temps comme ça !... LAETITIA. - Bien,
Monsieur le Docteur. (Elle se cogne en sortant à Dollly ) Pardon,
Mademoiselle... (Fausse sortie - elle réapparait pour s'excuser.) Pardon,
Madame... BERTRAND. - Elle est complètement idiote. Mais ça me repose des fous. DOLLY. - Il faut dire, mon biquet, que si nous étions mariés, tout serait plus simple. BERTRAND. - Je t'épouserai, c'est entendu, mais tout de même pas pour faire plaisir à la bonne ! DOLLY. - Tu sais, en Amérique, pour ménager sa bonne on va parfois beaucoup plus loin. Jusqu'à l'épouser, la bonne ! BERTRAND. - Et après, il
faut en chercher une autre... Stupide... Voyons, qu'est-ce que j'emporte ? LAETITIA, passe, jette la valise. - La valise du Docteur ! DOLLY. - Seulement, Pour se marier, il faut d'abord divorcer et toi, si tu ne divorces pas, ce n'est pas pour ménager ta bonne, mais une tante ! Qui n 'est même pas la tienne : celle de ta femme. BERTRAND. - Et ma marraine ! Mes parents avaient oublié de me baptiser... Une famille de distraits... C'est Tante Minnie qui a réparé cet oubli. En me tenant sur les fonts baptismaux. Le matin même de mon mariage. J'ai été baptisé à10 heures. Marié à midi. D0LLY. - Dommage que tu n'aies pas gardé ce rythme pour le divorce. BERTRAND, énervé. - La publication est prête et tu sais bien que c'est l'affaire de quelques jours. D0LLY .-Ça fait quelques mois que c'est l'affaire de quelques jours. En Amérique, mon pauvre biquet, tu aurais eu le temps de divorcer une dizaine de fois. BERTRAND. - Nous sommes en France. DOLLY. - Nous sommes surtout avec une femme qui tremble devant sa tante, et un homme qui tremble devant sa femme. Résultat : la tante ne sait toujours rien et le divorce attend. BERTRAND. - Je ne tremble devant personne. Mais je te l'ai dit cent fois, ma marraine est une femme... DOLLY, achevant d'un ton las. - Formidable, je sais. Tu l'aimes plus que ta mère. |
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BERTRAND. - Mais oui. On peut cesser d'aimer sa femme et continuer d'aimer sa tante. Ce mariage était son uvre... DOLLY, même jeu. -
... Elle va tomber de haut...Faut amortir la chute..., et coetera, et ctera... BERTRAND, câlin. - Mais voilà six mois que la petite chèvre broute dans son coin et que le lion a trouvé sa lionne, de quoi te plains-tu ? DOLLY. - Que la chèvre ne saute jamais le pas ! BERTRAND. - Mais elle le saute ! Ça y est ! Hop ! Elle est en train de le sauter. C'est toi-même qui as eu l'avocat au téléphone. Il t'a dit que Nadette partait chez sa tante à Vaux-les-Moselotte. DOLLY. - Mais elle n'y est jamais à Vaux-les-Moselotte ! Elle va jeter son fric aux quatre coins du globe ! BERTRAND. - C'est
pourquoi c'est très difficile de lui parler.. Allons, Nadette va rentrer. Au
prochain week- end, je serai divorcé. Ne gâte pas celui-ci qui a
si bien commencé. J'ai besoin de me détendre, moi... Les valises et en
route ! BERTRAND. - Qu'est-ce que vous voulez, vous ? LAETITIA. - Je croyais
que Monsieur m'appelait... Pardon, Docteur. DOLLY. - Encore ! LAETITIA. - On a sonné. Je vais ouvrir. DOLLY. - Si c'est une bonne sur, donnez-lui cent francs. Anciens, bien sûr ! LAETITIA. - Bien, ma sur. DOLLY. - Vous me porterez aussi ma valise, Laetitia. Elle est dans ma chambre. LAETITIA. Je dois la faire ? DOLLY. - Elle est faite, merci. LAETITIA. - Mademoiselle, ce n'est pas une sur, c'est une dame pour Monsieur. DOLLY. - Monsieur vous a dit qu'il ne consultait pas ! LAETITIA. - Mais elle ne veut pas se faire ausculter ! Elle dit qu'elle est Madame. DOLLY. - Madame qui ? LAETITIA. - Madame tout court. Très urgent. DOLLY. - C'est une
détraquée. Poussez-la doucement dehors. NADETTE. - Excusez-moi, Mademoiselle. Je ne suis pas une détraquée. Bien qu'avec mon mari j'aurais dû le devenir. DOLLY, estomaquée, après avoir fait signe à la bonne de sortir. - Madame Ger... NADETTE. - Germinat, vous
avez deviné. Vous connaissez bien votre patron, je vois. Vous êtes la
nouvelle assistante ? NADETTE. - Nouvelle bonne, nouvelle assistante, il a tout remplacé ! DOLLY. - Tout, Madame. Alors, vous êtes de retour ? NADETTE. - Oh ! De passage. Est-ce que le Docteur est là ? DOLLY. - Oui et non ! Si c'est une bonne nouvelle pour le divorce, il sera sûrement là ! NADETTE. - Vous êtes aussi sa secrétaire ? DOLLY. - Aussi. NADETTE. - Il fait des compressions. Doux. - Sur toute la ligne. NADETTE. - Il s'agit du divorce en effet. Et une très bonne nouvelle. Maintenant tout peut aller très vite. DOLLY, sa joie lui
échappe. - Bravo ! Ah ! Je cours le chercher ! Ce divorce me donnait beaucoup
de travail... NADETTE. - Pas sur cette
table, ma fille. Le vernis a déjà tendance à s'en aller. LAETITIA. - Bien, Madame.
(Elle pose la valise sur le sol.) BERTRAND. - Je suis très surpris ! Enfin, Nadette, tu connais la loi. Les séparés de corps n'ont pas à se rendre visite. Chaque corps doit rester de son côté. NADETTE. - Je m'en serais bien passé. Ce ne sont pas les corps, ici, mais les têtes ! Tout le monde a l'air fou ! La bonne, l'assistante et toi ! BERTRAND. - Mais c'est toi qui fais une folie. Même pour m'annoncer une bonne nouvelle, tu n'avais pas à remettre les pieds dans cette maison. Je ne connais plus que ton avocat et toi tu ne connais plus que le mien. Fini ! Nous ne nous connaissons plus ! Au fait, tu en es contente ? NADETTE. - De qui ? BERTRAND. - De ton avocat. Comme c'est moi qui le paie aussi, autant qu'il y en ait un sur deux qui donne satisfaction. NADETTE. - Il est très bien, merci. BERTRAND. - Mieux que ton coiffeur. NADETTE. - Qu'est-ce qu'il a mon coiffeur ? BERTRAND. - C'est un nouveau. Ça se voit. NADETTE. - Si ma coiffure ne te plaît pas, je te signale que, toi, tu as une mine épouvantable. BERTRAND, impressionné. - Ah ! Le samedi, que veux-tu, on porte le poids de toute la semaine. NADETTE. - Eh bien, elle a pesé ta semaine ! BERTRAND. - Tu me trouves si changé que ça ? NADETTE. - Physiquement, ravagé. Comme la décoration. Mais moralement, tu ne changes pas. Je viens pour une nouvelle importante, et tu me parles de mon coiffeur. BERTRAND. - Et toi de ma semaine. Bon. Alors, cette nouvelle ? Au fait, quand es-tu rentrée de Vaux-les-Moselotte? NADETTE. - Et d'abord, qui t'a dit que j'étais à Vaux-les-Moselotte? BERTRAND. - Toi. NADETTE. - Moi ? BERTRAND. - Enfin, ton avocat l'a dit au mien. |
4 On ne se connaît plus
mais on sait tout l'un de l'autre. C'est bien pratique les avocats. Surtout
depuis qu'on supprime les concierges ! NADETTE. - Ben forcément non. BERTRAND, criant. - Tu n'as pas parlé à ta tante ? ! ! ! NADETTE. - Ne crie pas ! BERTRAND, avec regard vers cabinet de consultation. - Tu as raison, ne crions pas ! Bon ! Pourquoi es-tu là alors, si tu n'as pas vu Tantine ? NADETTE. - Parce que je vais la voir. BERTRAND. - Quand ? NADETTE. - Aujourd'hui, là ! BERTRAND, satisfait. - Ah ! Tu pars aujourd'hui pour Vaux-les-Moselotte, c'est ça ? NADETTE. - Non, je ne pars pas, c'est elle qui vient. BERTRAND, épanoui. - Ah !
C'est elle ! J'y suis ! Elle vient à Paris. Très bien. C'est ça la bonne NADETTE. - Ce n'est pas tout à fait ça. Je vais aller lui parler, mais pas à son hôtel... Ici. BERTRAND. Ici ? Où ça ici ? Pas ici, non ? Si ici ? NÂDETTE. - Ne crie pas !! BERTRAND. - Mais c'est insensé ! Elle ne va pas descendre ici ? NADETTE. - Si. C'est ici qu'elle a sa chambre ? BERTRAND, pointu. - qu'elle avait, qu'elle avait ! NADETTE. - Oui, mais comme elle ne sait toujours pas que nous sommes séparés, elle croit qu'elle l'a toujours, sa chambre. C'est naturel, pas ? BERTRAND. - C'est naturel, mais c'est impossible ! Tu ne pouvais pas lui télégraphier ? NADETTE. - Trop tard ! J'ai reçu sa lettre ce matin. (Elle la montre.) " J'arriverai samedi." Lis ! BERTRAND, jetant un il. - Je lis aussi la date. Mercredi. Elle n'a pas mis trois jours, ta lettre ! NADETTE. - Si. C'est la faute de ta concierge. Elle a fait suivre avec un jour de retard. BERTRAND. - Celle-là, ses
étrennes ! (faisant un effort. ) |
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NADETTE. - Ah ! tu vois ! BERTRAND. - Mais qu'allons-nous faire ? Je n'en sais rien. Quelque chose pourtant me dit que ce n'est pas plus mal. Nous sommes mis au pied du mur. Cette fois, au moins, on le sautera le pas. Parce que ce n'est pas la chèvre qui sautera, mais le lion ! ( Il rugit énergiquement.) NADETTE. - Le lion ? BERTRAND. - Comme dans la fable. C'est moi qui lui parlerai, quoi ! NADETTE. - Ah non ! C'est moi ! BERTRAND. - Pardon ! Je suis chez moi ! NADETTE. - Moi aussi, je suis chez moi, pour Tantine. BERTRAND. - Mais comme c'est pour lui dire que tu n'y es plus, c'est moi, qui y suis toujours, qui lui parlerai ! NADETTE. - Ecoute, nous ne nous connaissons plus, mais je te connais. Ou tu n'arriveras pas à sortir un seul mot ! Ou tu en sortiras trop et tu la tueras ! BERTRAND. - J'ai l'habitude des ménagements. Je n'ai jamais tué de clients. C'est ce qu'il y a de bien dans ma spécialité. Je les enferme, mais je ne les tue pas. NADETTE. - Mais Tantine n'est pas une folle ! BERTRAND. - Oh ! Je sais ! Tu me crois toujours dans la lune, mais moi aussi, je te connais. Si tu tiens tellement à parler, toi, c'est pour me mettre tous les torts sur le dos ! NADETTE. - Et toi tu montres le bout de l'oreille ! C'est toi qui veux me charger et te faire passer pour un petit saint ! Saint-Nitouche ! BERTRAND. Je veux lui dire la stricte vérité ! Que tu n'as jamais rien compris à mon métier et que je ne pouvais pas me pencher sur mes clientes sans que tu m'accuses d'être leur amant ! NADETTE. - Tu te penchais tellement que tu tombais dans leurs bras ! BERTRAND. - Tu recommences ! Les psychopathes s'éprennent de leur docteur, on n'y peut rien. C'est le transfert. Tous les métiers ont leurs inconvénients ! NADETTE. - Mais dans le tien, les inconvénients. c'est pour ta femme.Tes transferts, c'était l'enfer ! C'est ce que je veux dire à Tante Minnie. BBRTRAND. - L'enfer, c'était tes scènes et tes cris ! NADETTE, criant. - Moi, des cris ? Ça y est, je sens que je deviens folle ! BBRTRAND. - Retiens-toi. Le samedi, je ne travaille pas. NADETTE. - Et il se paie ma tête par-dessus le marché ! Ah ! tu es ignoble ! Je plains la femme qui... BERTRAND. - Tais-toi ! NADETTE, hurlant. - Ais ! oui, je lui dirai: Tantine, c'est un maniaque, un obsédé sexuel, -un sadique... BERTRAND. - Assez ! NADETTE. - Tantine, c'est
un maso... (il lui met la main sur la bouche. Elle continue de l'insulter,
sons inarticulés qui ressemblent à des plaintes. La scène dégénère en vrai
pugilat. Nadette tombe sur le divan. Bertrand maintient toujours sa bouche
fermée. Ils sont étroitement plaqués l'un contre l'autre, décoiffés,
congestionnés. Et si démontés qu'ils ne voient pas Laetitia traverser le fond
de la scène - non sans un regard édifié sur eux.) (Deux secondes après, entrée de Tante Minnie. Dès qu'ils la voient, sans se séparer, ils simulent vaguement une étreinte amoureuse. Et la tante se méprend.) TANTE, radieuse. -
C'est le beau fixe ! TANTE. - La nuit ne leur suffit pas ! ( Ils restent pétrifiés sur place, réparant le désordre de leur mise en esquissant des sourires crispés.) Dites ! Et moi ? Ce n'est pas une raison pour ne pas m'embrasser ! (Ils courent dans ses bras.) NADETTE - Ah ! Tantine chérie ! BERTRAND, moins d'élan, voix étranglée. - ... Si heureux, Tantine... TANTE. - Des miettes, soit, mais il faut que je picore un peu, moi ! (Elle leur pique
quelques baisers sonores sur les joues.) NADETTE. - Tantine chérie, surtout ne va pas croire... BERTRAND. - Ah ! Non ! N'allez pas croire. Les apparences, vous savez ! TANTE. - Ça va, Ce n'est pas moi qui vous ferai honte ! Après deux ans de mariage, prendre encore le pousse-café, chapeau ! (Tape sur l'épaule de Bertrand.) Sacré Bertrand ! BERTRAND, modeste. - Oh !... TANTE. - Quoi ? Vous jureriez qu'il ne s'est rien passé sur ce divan ? TANTE. - Mais quoi ? BERTRAND, sincère. - Non ! Ça, je ne pourrais pas vous le jurer. Mais... BERTRAND. - Ecoutez, Tantine, Nadette a quelque chose à vous dire. Et tout de suite ! TANTE. - Oui. Des excuses pour ne pas être venus me chercher à la gare. BERTRAND. - Non. Pas du tout. TANTE. - Comment, non ? BBRTRAND. - Si, si, où s'excuse, mais... TANTE. - Ne vous frappez pas ! Les excuses, c'est le pousse-café, je les accepte ! (Elle regarde Laetitia.) C'est une nouvelle ? Vous ne lui aviez pas dit que je débarquais ? NADETTE. - Si, si, bien sûr. Pourquoi ? TANTE. - Elle me prenait pour une folle. Elle voulait me refouler. BERTRAND. - Faut pas faire attention. C'est elle-même une refoulée. TANTE. - Ah ! une malade ? BERTRAND. - Oui, oui. TANTE. - Ah ? Vous la soignez ? BERTRAND. - Oui, oui, elle nous sert, je la soigne. TANTE. - Elle est au pair, quoi. BERTRAND. - Voilà. TANTE, à Laetitia. - Portez mes valises dans ma chambre, ma fille. (Laetitia ne bouge pas, stupide.) Sourde, aussi ? BERTRAND. - Un peu dure d'oreille, oui... (criant.) Laetitia, portez les valises dans la chambre ! LAETITIA. - Quelle chambre ? TANTE. - La mienne. Elle ne sait vraiment rien. BERTRAND. - Je vous dis, elle refoule. TANTE. - Ça doit être
pratique dans le service. |
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NADETTE. - Tantine, avant toute chose, il faut que Bertrand te parle. TANTE. - Un Instant ! Nous avons trois jours devant nous. BERTRAND. - Trois jours ! TANTE. - Ça vous semble long ? BERTRAND. - Je n'ai pas dit ça ! Court, court, trop court... TANTE. - Ben on verra de mettre une rallonge.
TANTE. - Pour l'instant, ouf ! (Elle se laisse choir sur le divan.) Ah ! mes enfants ! Moi qui supporte facilement 30 heures de vol par semaine, Paris me tue ! BERTRAND. - Mais oui ! Paris tue ! C'est de la folie de venir à Paris, Tantine ! TANTE. - Ah ! Il faut que je vous aime, mes canards ! Et alors, les petites traditions ? (Nadette et Bertrand se regardent sans se souvenir.) L'amour leur fait perdre la mémoire ! Les babouches ? BERTRAND. - Quelles
babouches ? NADETTE. - Ah ! C'est vrai. Bertrand, voyons ! Les babouches de Tantine. BERTRAND. - Les babouches
! Très bien ! (il réfléchit une seconde en disant 🙂 Attendez !...
Laetitia! Laetitia, dépêchez-vous voyons ! (Entrée de Laetitia.) Allez
chercher les babouches de Madame. NADETTE. - Avant les babouches, Tantine, il faut que... TANTE. - Non. Après. Eh bien Bertrand ? Décidément, les petites attentions du début, ce n'est plus pour Tantine ! NADETTE. - C'est toi qui mettais les babouches à Tantine, voyons ! BERTRAND. - Ah ! C'est
vrai ! J'ai perdu l'habitude ! TANTE. - Elles sont neuves ?
TANTE. - Nadette, tu les as prises un peu justes... NADETTE. - Ça se prête... BERTRAND, dans sa barbe. - Comme tu dis... TANTE. - Ah ! Ça va mieux
! A pied léger, cur
ailé ! BERTRAND, avale sa salive et attaque. - Eh bien, chère Tante... |
7 TANTE, soudaine. - Tiens
! Mon aspidistra ? Ma grosse plante ? Je ne le vois pas. Nadette, où est-il ? TANTE. - ... distra. Distrait ! BERTRAND. - Je ne le vois pas moi non plus. TANTE. - Pourtant il se voyait ! NADETTE. - Qu'est-ce que tu en as fait ? BERTRAND. - Attendez... qu'est-ce que j'ai bien pu en faire ? Ça va me revenir... Ah ! oui. Moi, il me plaisait bien, mais il n'a pas plu. TANTE. - Fallait l'arroser. BERTRAND. - Non, plu, plaire. Il ne plaisait pas. TANTE. A qui ? BERTRAND. - A qui ?... A Laetitia. La bonne, oui. Alors, pas... TANTE. - Vous l'avez refoulé ! BERTRAND. - Dame ! Bonne, et malade. Et sourde. Quand on veut ménager quelqu'un, faut savoir faire de petits sacrifices. Et même des grands ! Hein, Nadette ! Nous en savons quelque chose ! TANTE. Bien sûr. Alors, qu'avez-vous à me dire de si urgent ? BERTRAND. - Eh bien, chère Tante... Oh! ça n'est pas... C'est... TANTE, soudaine. - Ça par exemple ! BERTRAND, effrayé. - Qu'y a-t-il ? TANTE. - C'est ça que vous voulez me dire ? NADETTE. - Quoi, ma tante ? TANTE. - Vous partiez en voyage ? NADETTE. - Nous ? BERTRAND. - Jamais de la vie ! TANTE. - Ces valises ? BERTRAND. - Elles ne sont pas à vous ? TANTE. - Pas celles-là, non.
BERTRAND. - Je ne sais
pas moi. C'est toujours moi qui dois répondre ! (il cherche.) Ah !
C'est Laetitia ! Elle refoule des envies de voyage, alors elle trimbale
tout le temps des valises... Ce n'est pas dangereux... (Entrée de
Laetitia.) Laetitia, reprenez ces valises, amusez-vous avec, mais ne les
abîmez pas... TANTE, rigole doucement.
- Ha ! ha ! ha ! Je sens que je vais bien m'amuser moi aussi avec cette
bonne, tiens ! En attendant, je vais aller défaire mes valises moi-même. Des
fois que mes affaires lui fassent le même effet que mon aspidistra à votre
refoulée ! BERTRAND, dans un sursaut d'énergie. - Non, Marraine ! Une seconde ! Ce coup-ci, il faut que Nadette vous dise. NADETTE , dégonflée. - Non. Toi. BERTRAND. - Comment moi ? C'est toi qui voulais lui parler. NADETTE. - Pardon, c'est toi. TANTE. - Ne vous disputez pas. Dites-le tous les deux. Vous commencez à m' intriguer... Il y a du nouveau ? BERTRAND. - Oui, Tantine, Enfin, du nouveau... Ça remonte à six mois. TANTE. - Six mois ?... Pourquoi avez-vous tant attendu ?... BERTRAND. - Ah ! Pourquoi ! Ça ! NADETTE. - Au début, on n'était pas très sûrs... Faut bien le dire. BBRTRAND. - Oui, c'est vrai... On se demandait si on le voulait vraiment... NADETTE. - On hésitait... Un si jeune ménage... C'est naturel ? BBRTRAND. - Mais maintenant, on est bien décidés. NADETTE. - On le veut ! On le veut tous les deux... TANTE, explosant de joie. - Ah ! Mes canards ! L'héritier ! C'est l'héritier qui est en route ! BERTRAND. Quel héritier ? TANTE. - Et moi, imbécile, qui n'y ai vu que du feu ! Six mois ! Tu es folle de te serrer ainsi ! BERTRAND, réalisant. - Ah ! L'héritier ! Nom de nom ! TANTE. - Ou l'héritière ! BERTRAND. - Ah ! Marraine, ne vous emballez pas ! NADETTE. - Ah ! non, ne t'emballe pas, Tantine ! |
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TANTE. - Ah ! si je m'emballe ! Ce bébé que je n'ai jamais pu avoir, moi, c'est vous, mes canards qui allez me le faire. Ah ! merci, mes enfants ! Je sais pourquoi vous avez attendu. C'est ma fête demain. Vous ne pouviez pas me faire de plus beau cadeau. Un bébé ! il me semble que ce n'est pas toi, mais moi qui le porte ! BERTRAND, entre ses dents. - Pour ce qu'il pèse ! TANTE. - Enfin, jeune
maman ! DOLLY. - Hep ! ( Bertrand reste en scène. -Imprécations en anglais. ) Faux c... ! Tu me trompais avec ta femme ! BERTRAND. - Quoi ? DOLLY. - Tu penses si on faisait traîner le divorce ! Monsieur était l'amant de sa femme et le mari de sa maîtresse. Et c'est à l'épouse - pas fou, on reste dans la loi - qu'on fait le baby ! BERTRAND. - Tu es en pleine paranoïa ! Tu as vu ma femme ? Il faut être une obsédée maternelle comme la tante ou une jalouse démentielle comme toi pour croire ça ! DOLLY, elle pose sa valise. - Alors, pourquoi ces salades ? C'est tout de même raide ! Ta femme atterrit. Je te laisse avec elle pour conclure le divorce. O.K. Je reviens : je vous trouve tête contre tête, attendant un bébé et recevant la bénédiction de la tante gâteau dans ses babouches que vient de lui glisser aux pieds le petit canard de son cur ! " A pied léger, cur ailé ! " BERTRAND. - Quand elle est entrée, Nadette et moi nous étions positivement collés l'un à l'autre. DOLLY. - Et il vous avoue ça froidement ! BERTRAND. - Je ne l'embrassais pas, je l'étranglais. Quand on a vu la tante, on a rectifié l'étreinte. Naturel, non ? DOLLY - Tu devais avoir l'air de la violer. BERTRAND. - Exactement ! DOLLY. - Et toi, dernière des lavettes, tu as laissé croire à la bonne dame que tu sortais des bras de ta femme alors que c'était des miens ! (Imprécations en anglais.) NADETTE. - Assistante, secrétaire... et maîtresse ? DOLLY. - ... Et la deuxième Madame Germinat quand la première sera tout à fait liquidée. NADETTE- Félicitations... BERTRAND. - Eh bien, les présentations sont faites. NADETTE. - Vous avez donc intérêt, Mademoiselle, à nous aider. DOLLY. - Vous voulez que j'aille border Tantine ? NADETTE. - Non, mais notre situation est déjà assez scabreuse... DOLLY. - Stop ! A moi, pas de salades. C'est bien vrai que vous n'êtes pas la maîtresse de votre mari ? NADETTE, tombant des nues. - Vous êtes folle !! BERTRAND. - Tu vois ! Le cri du cur ! DOLLY. -ok. NADETTE. - Mon mari n'est plus pour moi qu'un étranger. BERTRAND. - Et toi, une étrangère ! Ça m'en fait deux ! NADETTE. - Pire, un ennemi ! BERTRAND. - Tu l'as voulu ! NADETTE. - Si là-dessus, on découvre qu'il a une maîtresse - ce qui moi, notez, ne me surprend pas, c'est un débauché... BERTRAND. - Un débauché ! NADETTE. - Et que par surcroît il a installé cette maîtresse sous le même toit que sa femme - ce qui ne me surprend encore pas, c'est un dépravé... BERTRAND. - Un dépravé ! NADETTE. - Je pense à ce que penserait Tantine... Alors, Mademoiselle, il vaut mieux que vous alliez faire un petit tour... DOLLY. - Où ça ? Je veux bien pousser à la roue si c'est la roue du divorce... Mais tout de même ! C'est moi qui suis chez moi. Comme ça, je fais secrétaire, je vous l'accorde. Mais je repasse ma blouse, et je suis l'assistante. NADETTE. - Non. D'abord, le samedi l'assistante n'est jamais là. Et puis en blouse, vous faites encore plus ce que vous êtes. DOLLY. - C'est-à-dire ? NADETTE. - La poule du patron. DOLLY. - Dites donc ! NADETTE. - Je pense à ce que penserait Tantine... (Entrée de la bonne.) LAETITIA. - La dame qui a mes babouches m'a dit d'appeler Madame. Monsieur doit savoir laquelle ? |
9 BERTRAND, à Nadette. - Va
vite ! BERTRAND, retient la
bonne. - Laetitia, il y a un petit changement. Ecoutez-moi bien. Cette dame
qui a vos babouches, est la tante Minnie. La tante de Madame. DOLLY. - Non. Pas moi. LAETITIA. - De la cliente ? BERTRAND. - Ce n'est pas une cliente. Et c'est elle à présent que vous appellerez Madame. Oh ! Pas longtemps. LAETITIA. - Combien de temps ? BERTRAND. - On vous le dira. LAETITIA. - Et le Docteur ? BERTRAND. - Quel docteur ? Ah ! moi. Je reste Monsieur. Oh ! Pas longtemps. Enfin, pas celui-là. LAETITIA. - Et Mademoiselle ? BERTRAND. - Mademoiselle, vous ne la verrez plus de ce côté de la porte. LAETITIA. - Elle redevient Mademoiselle, quoi ! BERTRAND. - Oh ! Pas longtemps ! LAETITIA. - Ma tête ! NADETTE. - Bertrand,
viens vite ! Je ne trouve plus rien dans cette maison ! BERTRAND. - Pourtant, elle commence à se remplir ! (A Dolly.) Va faire un tour, va. Tiens, va chercher la voiture. DOLLY. - Ah ! notre week-end ! BERTRAND. - Je te
garantis que ce soir nous coucherons à Deauville ! Un dépravé ! Moi qui n' ai
jamais été au bout d'un seul transfert ! LAETITIA. - Madame, c'est un Monsieur qui vient pour Madame. DOLLY. - Je n'attends personne. LAETITIA. - Non. La nouvelle. DOLLY. - L'ancienne ? Par
exemple ! DOLLY. - Oui, Monsieur. DORIGNAC. - Tiens ! DOLLY. - Enfin, pas encore. DORIGNAC. - Ah ! Bien. J'étais un peu surpris. Puisqu'en fait Madame Germinat, que j'ai accompagnée jusqu'ici, est encore Madame Germinat. Mais je vois que vous serez la prochaine ? DOLLY. - Oui. DORIGNAC. - J'ignorais qu'il y eût une prochaine. Je suis enchanté, Mademoiselle. DOLLY. - Je m'avance peut-être, mais vous-même, Monsieur, ne seriez-vous pas le prochain ?... DORIGNAC. - J'ai cette chance, oui, Mademoiselle. DOLLY. - Je ne savais pas, moi non plus, qu'il y avait un prochain. Je suis ravie, Monsieur. Bien que mon futur mari ne vous dirait pas que c'est une chance ! DORIGNAC. - Ma future femme vous en dirait autant de lui ! DOLLY. - Mais nous sommes deux à souhaiter l'accélération du divorce, ce n'est pas de trop ! DORIGNAC. - Nous sommes même quatre. Car si ma fiancée est en ce moment avec son ex-époux, c'est pour accélérer le divorce, m'a-t-elle dit. DOLLY. - Je le croyais aussi. Mais il arrive qu'en voulant accélérer, on se trompe de pédale et on appuie sur le frein. DORIGNAC. - Pardon ? NADETTE, ne voyant que Dolly. - Vous êtes encore là, Mademoiselle ? DOLLY, narquoise. - Je tiens compagnie à Monsieur... NADETTE. - Oh ! André ! Vous m'aviez promis d'attendre dans l'auto. DORIGNAC. - Je vous y
attendais, ma chère Nadette. Mais d'abord cette visite chez celui qui NADETTE. - Mais ça y est ! Tante Minnie est arrivée. DORIGNAC. - Je sais. Je l'ai vu descendre de son taxi. NADETTE. - Ah ! Vous l'avez reconnue ? DORIGNAC. - N'eussé- je
jamais vu de photographie de Tante Minnie - et j'en ai assez vu ! - je NADETTE. - Ça l'est toujours, alors regagnez l'auto. Je ne tarderai pas à vous y rejoindre. DORIGNAC. - Une allusion de Mademoiselle sur l'accélérateur et les freins me rend perplexe : dois-je regagner l'auto ? NADETTE. - Qu'est-ce qu'ils ont, les freins ? De toute façon, elle est à l'arrêt, l'auto. DORIGNAC. - Vous n'avez
pas compris. Moi non plus d'ailleurs. Bref ! Je me suis dit ceci : la tante
Minnie est en train d'apprendre quelle erreur avait été la sienne en faisant
ce mariage. N'est-ce pas le moment rêvé pour Nadette de me présenter à elle ;
moi qui offre toutes les garanties de réussite pour un deuxième mariage ? BERTRAND. - Hé bé ! DORIGNAC, voyant Bertrand, à Nadette. - Le Docteur Germinat ? NADETTE. - Oui. (A Bertrand.) Je te présente André Dorignac, mon fiancé. BERTRAND. - J'avais compris. Tu as vraiment l'art d'apprendre aux gens les nouvelles à la dernière minute... DORIGNAC. - Enchanté... BERTRAND. - Enchanté. - Alors tu te remaries déjà ?... NADETTE. - Toi aussi... BERTRAND. - Moi, ce n'est pas pareil... DORIGNAC. - Enchanté... BERTRAND. - Enchanté. Encore un alors qui doit piaffer en attendant le saut de la chèvre... D0RIGNAC. - Enchanté... BERTRAND. - Enchanté, Monsieur, ou plutôt désolé de ne pouvoir être enchanté. Mais ce n'est l'instant rêvé pour aucune présentation quelle qu'elle soit. NADETTE --- Il a raison, André. Je vous présenterai à ma tante, je vous le promets, tout de suite après. |
DORIGNAC. - Après quoi ? Je ne vois pas pourquoi je passerais après. BERTRAND. - De toute façon, comme deuxième mari, vous passerez toujours après le premier. Je vous le demande, peut-on annoncer à Tante Minnie le remariage de sa nièce avant de lui avoir appris son divorce? DORIGNAC. - Je conçois que non. Vous ne lui avez donc pas encore parlé ? BERTRAND. - Elle vient d'arriver. DORIGNAC. - Je sais. Et qu'attendez-vous ? BERTRAND. - Elle est en train de défaire ses valises dans sa chambre. DORIGNAC. - Comment ? Elle s'installe ? BERTRAND. - Non. Mais je vous le demande, vous Monsieur qui semblez être un parfait gentleman, lui auriez-vous porté le coup avant même qu'elle ne pose ses valises ? DORIGNAC. - Certainement pas, Monsieur. NADETTE. - Vous voyez bien, André. BERTRAND. - Alors, Monsieur, soyez assez aimable, vous avez toute la vie. Effacez-vous encore. C'est l'affaire de quelques instants. D0RIGNÂC. - C'est que Nadette et moi nous partions pour le week-end ! BERTRAND. - Moi aussi, Monsieur ! DORIGNAC. - La tante, c'est très joli ! Mais j'ai une mère, moi. BERTRAND. - Moi aussi ! DORIGNAC. - En Touraine ! BERTRAND. - Moi aussi. A Metz ! DORIGNAC. - Elle désire faire la connaissance de ma fiancée. Nous sommes très ponctuels dans ma famille. Elle nous attendait à 7 heures. Et comme je n'excède jamais la vitesse de 70 kilomètres à l'heure... BERTRAND, exaspéré. - Eh bien, vous monterez jusqu'à 100 ! DORIGNAC. - En aucun cas NADETTE. - Oui, André, téléphonez-lui ! DORIGNAC. - Je n'ai jamais fait un mensonge à ma mère. Que vais-je lui dire ? BERTRAND. - La vérité ! Dites-lui que votre fiancée ne peut pas devenir votre femme si elle ne divorce pas, et que pour divorcer elle doit revivre avec son mari une heure ou deux ! DORIGNAC. - Inconcevable ! Pauvre Maman ! Et moi j'ai l'ouverture du canard ! Voix DE LA TANTE, en
coulisses. - Mes canards ! NADETTE. - Vite, André ! |
VOIX DE LA TANTE. - «
Vous êtes là ? » TANTE. - Fermez les yeux ! ( Ils le font. La Tante brandit une brassière de nouveau-né. ) Ouvrez ! ( Ils ouvrent les yeux. Double consternation.) C'est tout ce que vous dites ? ( Un pâle sourire éclaire leurs visages. ) Elle ne vous plaît pas ? NADETTE. - Oh ! Si ! Beaucoup ! - Bertrand ! BERTRAND, articule. - Délicieuse... TANTE. - Et rose ! Débrouillez-vous, moi je veux une petite Minnie ! J'ai mis un an pour la tricoter. BERTRAND. - Ça pouvait encore attendre, Tantine. Supposez que... TANTE. - Quoi ? Trois mois, ça va passer vite ! BERTRAND. - Certes, mais parfois il y a des enfants, si souhaités qu'ils soient, qui hélas ! n'arrivent pas jusque-là... TANTE. - Celui-là arrivera, je vous le garantis ! Dans la famille, on arrive toujours ! BERTRAND. - Eh oui ! mais justement... celui-là est mal parti !... TANTE. - Mal parti ! Vous avez des craintes ? BERTRAND. - Craintes.., ce n'est pas le mot... Nadette, à toi un peu ! Tu es la mère ! NADETTE. - Il y a des jours, Tantine, où je ne me sens pas très bien... BERTRAND. - Aujourd'hui,
tiens ! BERTRAND. - Moi non plus, je dois le dire ! TANTE. - Faites-moi le plaisir tous les deux de chasser ces idées noires ! Je ne veux que des idées roses ! Bon. La grande Minnie a eu son cadeau. Et quel cadeau ! La petite aussi. A vous ! (Elle va prendre un carton resté dans le fond et l'ouvre, en sort un déshabillé en soie.) Du rose ! Encore du rose ! NADETTE. - Qu'il est joli ! Hein, Bertrand ? BERTRAND. - Très. Mais elle ne mérite pas qu'on la gâte ! NADETTE. Non, je ne le mérite pas. (Bertrand prend le déshabillé et le remballe.) BERTRAND. - Remporte-le, ma tante ! TANTE. - Ah ! ça ! Quelle mouche vous pique ? ( Elle ressort le déshabillé.) Vous refusez mes cadeaux à présent ? BERTRAND. - Ça me gêne terriblement, moi aussi ! TANTE. - Attendez que votre petite femme y soit dedans, on verra si ça vous gêne tellement. Encore que vous n'ayez pas besoin de ça, hein ? Sacré Bertrand ! ( Bertrand a un regard éperdu vers le cabinet de toilette.) Ne soyez pas jaloux ! BERTRAND. - Oh ! C'est pas tellement moi... TANTE. - Je ne vous ai pas oublié. ( Elle sort un kilt.) BERTRAND, heureux. - Oh ! Minnie ! Un kilt ! C'est de la folie ! TANTE. - Je l'ai acheté à Edimbourg, sous les arcades ! BERTRAND, l'essaie. - Merveilleux ! Pour recevoir ma clientèle !... TANTE. - J'ai mis dans le mille, je vois. BERTRAND. - Dans le
mille. ( Se reprenant soudain.) Ah ! C'est vrai ! Je ne peux pas ! Je
ne peux TANTE. - Il recommence ! BERTRAND. - Il y a un an, j'aurais pu... Je ne peux plus, Marraine. Je n'ai pas de cadeau à accepter de vous ! TANTE. - Ce n'est pas une montre en or... BERTRAND. - Eh non ! Mais non et non ! Je n'en veux pas ! TANTE. - Tu veux me fâcher ? NADETTE. - Accepte, va... BERTRAND. - Hein ? Bon.., j'accepte. Mais je vous le rendrai... TANTE. - Je voudrais voir ça ! BERTRAND. - Il me va très bien.., mais je vous le rendrai quand même ! TANTE. - C'est une idée
fixe ! ( Bertrand que Nadette a poussé vers la tante, l'embrasse.) Que
de simagrées pour un kilt ! Si je n'avais pas d'autre sujet de contrariété,
moi... NADETTE. - Qu'est-ce que c'est, ma Tante ? TANTE. - Des gouttes pour le cur. BERTRAND. - Quel cur ? TANTE. - Le mien, hélas ! |
w14 BERTRAND. - Mais pourquoi ? TANTE, minimisant. - J'ai eu une petite alerte. A Copacabana. Au carnaval. Je ne voulais pas vous le dire dans une lettre, pour vous ménager... A mon retour, j'ai vu ce brave docteur Muller. Tu le connais. Il s'affole vite. Il m'a ordonné ces gouttes ! Mais c'est bien pour lui faire plaisir. BERTRAND, atterré. - Ah ! Non ! Non ! Vous n'avez pas non plus aussi le cur malade, Tantine ? TANTE. - Comment aussi ? Tout le reste va très bien ! BERTRAND. - Ah ! Ce n'est pas possible ! NADETTE. - Ça, j'avoue, c'est décourageant ! TANTE. Ne vous affolez pas, mes canards, je vous enterrerai. Mais enfin je dois faire attention. On ne plaisante pas avec le cur. Je vois, rien que l'émotion que je viens d'avoir, eh bien, mon Dieu... BERTRAND. - Quelle émotion ? TANTE. - Mais l'héritière. Ça m'a fait un petit coup. Bonnes ou mauvaises, les émotions... Nadette, tu m'en comptes vingt gouttes dans un verre d'eau. BERTRAND, effondré. - Ah ! Quand le sort s'acharne ! TANTE. - Ah ! Vous n'allez pas vous rendre malade, mon petit Bertrand ! BERTRAND. - Ah ! Si ! C'est terrible, Minnie ! Nadette ! c' est terrible, n'est-ce pas ? TANTE. - Allons,
remets-toi, mon petit. Comme on l'aime, sa Tantine ! Je vous ai tous les deux BERTRAND. - Non ! Assez ! Assez ! Assez ! Dis-lui, Nadette. Tant pis, on ne peut plus reculer. Sautons ! Sautons ! Prenez vos gouttes, Tantine. Après Nadette vous dira. Prenez, prenez ! TANTE, étonnée. - Qu'est-ce qu'il y a ? BERTRAND, prend le verre et le colle dans les mains de la tante. - Buvez d'abord, ma Tante.
BERTRAND. - Après, justement ! TANTE, très calme et changeant de ton. Vous me prenez vraiment pour une imbécile, tous les deux. Vous avez un aveu à me faire, qui vous coûte beaucoup, et vous tournez autour du pot. BERTRAND. - Eh bien, oui, ma Tante. Mais buvez. NADETTE. - Oui, bois, Tantine. TANTE. Pas besoin. Je vous ai vu venir. Les enfants qui n'arrivent pas... La brassière qui peut attendre... On hésitait, on ne le voulait pas, maintenant on le veut. (Brutale.) Vous ne le voulez pas ce bébé, voilà ce que vous n'osez pas me dire ! BERTRAND. - Ah ! Mais pas du tout ! TANTE. - Je me trompe ? Vous le voulez ? BBRTRAND. - Non, non, on ne le veut pas, c'est vrai, mais vous ne savez pas pourquoi ? Eh bien... TANTE, se dresse, démontée, terrible. - Je ne veux pas le savoir ! Alors, c'était bien ça ! C'est une honte ! Trop tard ! Vous me l'avez annoncé, maintenant il faut me le faire ! Et une fille ! Et réussie ! Et blonde ! Et avec des yeux bleus ! Sinon... (Elle semble sur le point de défaillir. Bertrand et Nadette s'empressent avec le verre et la font boire en la cajolant.)
NADETTE ET BERTRAND. - On vous le jure.. TANTE, finit de boire d'un trait. - Bien. Et qu'on ne m'en reparle plus. C'est assez pénible. Je vais un peu m'allonger. (Fausse sortie. - Elle se retourne vers eux, détendue, sa colère est tombée.) Avouez que vous n'étiez pas plus fiers que ça ? Dans cinq minutes, vous éclaterez de joie, petits nigauds ! (Sortant.) Ah ! J'ai été bien inspirée de venir, tiens. Vous ne pouvez rien faire sans moi ! Même pas un enfant ! (Sortie de la tante.) (À peine la tante est-elle sortie, que la tenture du cabinet de toilette vole et Dorignac en surgit comme un fou. Sans un regard pour les autres, il va droit dans le fond, cherchant le vestibule...) BERTRAND. - Qu'est-ce que vous cherchez ? DORIGNAC. - La sortie. La bonne cette fois. NADETTE. André, je vous demande d'être... DORIGNAC. - Quoi ? Le parrain ?
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5 DORIGNAC. - Ah ! Suffit ! Je pouvais venir en aide à l'ancien mari de Nadette, pas au futur père de son enfant ! NADETTE. - Mais il n'y a pas d'enfant, voyons ! BERTRAND. - Je n'ai jamais touché à ma femme ! Enfin, pas à votre fiancée ! NADETTE. -- C'est ma tante, sur un déplorable malentendu, qui l'a cru dur comme fer. BERTRAND. - Vous avez vu nos efforts pour la détromper ? Et le coup allait être porté, là, sous vos yeux... Quand le cur a flanché ! NADETTE. -- Pauvre Tantine ! Le cur !... Enfin, André, vous en avez vous aussi, du cur ? BERTRAND. - Mais oui, il en a ! Ça se voit tout de suite. A quoi auraient servi, je vous le demande, Monsieur, tous les sacrifices que nous avons faits vous et moi, si nous ne devons pas la ménager jusqu'au bout ? DORIGNAC. - Oui, mais si pour la ménager vous devez faire un enfant à ma femme ! BERTRAND. - Ne parlons plus de cet enfant ! C'est vous qui serez son père. DORIGNAC. - Je l'espère bien. BERTRAND. - Ah ! non, vous n'espérez pas. C'est décidé ! Vous ne voulez pas d'enfants ? DORIGNAC. - Je n'ai pas dit ça, au contraire, mais... BRRTRAND. - Il n'y a pas de mais. Nadette a juré. Maintenant vous ne pouvez plus vous dérober ! DORIGNAC. Ecoutez, nous n'en sommes pas encore là ! Moi, je dois téléphoner à ma mère. Comment et quand comptez-vous révéler à Tante Minnie la vérité ? BERTRAND. - Ah ! Ne me bousculez pas. Moi, faut pas qu'on me bouscule, je vous préviens. NADETTE. - Non, André ! Ne le bousculez pas ! BERTRAND. - Votre mère n'est pas cardiaque, elle. Je parlerai à Marraine, mais qu'on ne me bouscule pas ! NADETTE. - Laissez faire Bertrand ! BERTRAND. - Elle vous le dit : laissez faire Bertrand ! DORIGNAC. - Bon. Laissons faire Bertrand. BERTRAND. - Tenez ! Vous voulez prendre ma place ? Prenez-la tout de suite. Vous êtes chez vous ! Avec ma femme ! Allez ! Prenez aussi les décisions ! DORIGNAC. - Si vous le prenez sur ce ton, je vous réponds ceci : puisqu'en conjuguant vos efforts tous les deux, vous n'avez fait que vous enliser chaque fois un peu plus, appelez Tante Minnie, c'est moi qui lui parlerai. BRRTRAND. - Pas bête, ça ! Nadette, appelle Marraine. NADETTE. Quoi ? Tu n'y penses p as. Et vous, André. vous ne m'aimez pas, je vois ! DORIGNAC. - Moi ? BERTRAND. - Oui, vous. Vous n'aimez pas ma femme ! DORIGNAC. - Pourquoi ? BERTRAND. - Pourquoi, Nadette ? NADETTE - Ou vous tuez Tantine, et je ne vous le pardonnerai jamais... BERTRAND. Jamais, vous entendez ! NADETTE. - Ou elle surmontera l'attaque, et c'est elle qui ne vous pardonnera pas. BERTRAND. - Déjà, comme successeur de l'homme qu'elle avait choisi pour sa nièce, vous aviez un handicap. Ce n'est vraiment pas le moyen de rentrer dans ses bonnes grâces. Nadette a raison. DORIGNAC, embarrassé. - Que vais-je dire à ma mère ? BERTRAND. - Que va-t-on dire à la tante ? NADETTE. - En tout cas, aujourd'hui, rien ! DORIGNAC. - Et notre week-end ? BERTRAND. - Monsieur ! Le cur de tante Minnie passe avant les canards ! Enfin, avant les vôtres ! NADETTE. - Elle reste trois jours. Nous avons trois jours pour la préparer. BERTRAND. - On la bourrera de gouttes. DORIGNAC. - Nadette, vous n'envisagez pas de demeurer ici trois jours ? NADETTE. - Par la force des choses, mon pauvre ami. BERTRAND. - Vous avez accepté de vous effacer... DORIGNAC. - Une heure ou deux. Mais trois jours ! D'autant que, qui dit trois jours dit trois nuits ! Je suis large d' esprit mais tout de même !! BERTRAND. - Il y a aussi trois lits. DORIGNAC. - Mais c'est le même toit ! Je ne puis admettre que ma fiancée, sous prétexte de divorcer, reprenne la vie en commun avec son mari. Allez expliquer ça à ma mère ! NADETTE, démontée - Et vous, allez tuer ma tante immédiatement ! Cet homme n'est plus mon mari... BERTRAND. - Non ! Fini ! NADETTE. - Je l'ai insulté... BERTRAND. - GrIffé, même... tiens, regarde... NADETTE. - Et pourtant, je dois lui sourire, lui faire les yeux doux, l'appeler mon chéri... BERTRAND. - Mon biquet ! NADETTE. - Je t'ai appelé mon biquet ? BERTRAND. - Non, mais tu devrais... NADETTE. - Non, moi, c'était mon minet... BERTRAND. - Ah ! Oui ! DORIGNAC. - Je ne vous dérange pas ? NADETTE. - Croyez-vous que ce soit très drôle pour moi ? DORIGNAC. - Et pour moi !! NADETTE. - Vous ! Vous ne voyez que vous et votre mère ! Et lui ? Il était chez lui, bien tranquille ! BERTRAND. - C'est loin ! NADETTE. - Dans sa robe de chambre, avec sa maîtresse... BERTRAND. - Un samedi ! NADETTE. - Il m'a presque étranglée ! BERTRAND. - Etranglée, hé là ! NADETTE. - Regarde... Et pourtant, il doit roucouler, cacher sa maîtresse... BERTRAND. - Passer les babouches... NADETTE. - Tout ça, il accepte de le faire pour me perdre. Et vous, pour me garder, vous refusez ?? BERTRAND. - Quel égoïste !! Ah ! Je ne sais plus s'il a tellement de cur ! DORIGNAC. Bon, bon, soit ! Je m'incline. Dites--moi ce que je dois faire. BERTRAND. - Mais vous, rien. Vous avez le beau rôle. DORIGNAC. - Rien. C'est entendu. NADETTE. - Merci, André ! ( Elle lui saute au cou.) BERTRAND. - Merci,
Monsieur. (Il lui secoue la main.) |
(Machinalement,
Bertrand continue de secouer la main de Dorignac comme si un courant
électrique l'attachait à lui. TANTE. - Qui est-ce ? BERTRAND. - ... Qui est-ce ?... ( badinant ). Ah ! Ah!!! Qui est-ce ? Ça ! Nadette, on lui dit ? NADETTE, même jeu. - Hé ! Hé ! Je ne sais pas!... BERTRAND. - C'est une surprise... Attendez... Cherchons... Cherchons tous ensemble. TANTE. - Un grand ami, ça je vois bien. BERTRAND, ambigu. - Oui, mais qui ?... NADETTE, même jeu. - Voilà! TANTE, sur le ton d'eureka. - C'est Bardu !! DORIGNAC. - Bardu ? BERTRAND. - Bardu !! Très bonne idée ! DORIGNAC. - Comment, Bardu ? NADETTE, à Dorignac. - Elle a deviné, allez. BERTRAND. - Te fatigue pas, mon petit Bardu. TANTE. - Eh bien, dites donc ! Depuis le temps que nous devions faire connaissance. BERTRAND - Vous voyez, tout arrive. TANTE. - On s'embrasse ? DORIGNAC, l'embrasse, mais reste digne. - Je suis très honoré, Madame, de vous être enfin présenté. Je ne pensais pas que ce serait dans de pareilles circonstances. TANTE. - Qu'est-ce qu'elles ont, les circonstances ? BERTRAND. - Bah ! Il voulait nous faire la surprise. Il ne savait pas que vous veniez vous aussi. C'est un délicat. Il a peur d'être de trop. DORIGNAC. - Exactement. TANTE, se récrie. - De trop, Bardu ! Vous ne savez pas ce que Bertrand dit de vous ! C'est mon autre moi-même DORIGNAC, ambigu. - En effet ! TANTE. - Bardu ! M'en ont-ils assez parlé de leur Bardu, mes canards ! Les inséparables, les mêmes collèges, le même régiment, et les mêmes... pousse-café... Ah ! Ah ! Je sais tout de vous. DORIGNAC. - Vous avez bien de la chance ! TANTE. - Vous habitez toujours... Attendez !... DORIGNAC. - Oh ! J'attends ! BERTRAND. - Pontoise ! Toujours ! Un fidèle, Bardu ! TANTE. - Vous êtes en tenue de chasse ?... BERTRAND. - Oui, oui... un grand chasseur, Bardu ! TANTE. - Et qu'est-ce que vous chassez? DORIGNAC. - Ce qui se présente ! En ce moment, le canard ! TANTE. - Moi, je ne chasse que l'éléphant !... Et vous venez chasser à Paris? BERTRAND. - Oui, oui... Très giboyeux, Paris... Le Bois de Boulogne ! |
6 TANTE. - Vraiment ? BERTRAND. -- Le Tir aux Pigeons... Pan ! Pan ! TANTE. - Pourquoi vous n'avez pas emmené Madame Bardu ? BERTRAND. Oui, au fait, pourquoi ? DORIGNAC. - Ma mère ? BERTRAND. - Mais non, ta femme, Gisèle ? NADETTE. - Il te l'a dit, elle était un peu fatiguée... TANTE. - Pas souffrante, au moins ? DORIGNAC. - Souffrante, on ne peut pas dire... Patraque... TANTE. - Mais c'est vrai ! J'oubliais ! Elle aussi !! DORIGNAC. - Quoi donc ? TANTE. - Nadette, tu me l'avais écrit. A la Havane . Elle aussi attend un heureux événement. DORIGNAC. - Décidément. TANTE. - Oui décidément, l'un ne peut rien faire sans que l'autre ne le fasse ! Et madame Bardu, c'est pour quand, elle ? DORIGNAC, à Bertrand. - Eh bien.., c'est pour quand, déjà ? BERTRAND. -- Eh bien, compte !... DORIGNAC- - Je ne suis pas fort pour le calcul mental.. NADETTE. - C'est simple, c'est comme moi... BERTRAND. - C'est ça. Dans trois mois... TANTE. - C'est
extraordinaire ! Vous serez père tous les deux le même jour ! ( Elle
découvre la DORIGNAC. - Une valise ? BERTRAND. - Oui. Forcément, quand on vient de Pontoise. TANTE. - J'y suis ! Vous veniez passer le week-end vous aussi ? DORIGNAC, se récrie. - Ah ! Non ! Ça non ! Pas moi ! TANTE. - Mais si ! C'est pour ça que vous aviez peur d'être de trop ! A cause de la chambre. DORIGNAC. - Quelle chambre? TANTE. - La mienne. Je vais vous mettre l'aise, Monsieur Bardu. C'est avant tout la chambre d'ami. Vous êtes l'ami par excellence. Elle est pour vous ! DORIGNAC. - Jamais ! TANTE. - Je prendrai ce divan. DORIGNAC. - Inutile ! Je ne veux pas coucher ici ! TANTE. - Vous n'allez tout de même pas rentrer coucher à Pontoise ? DORIONAC. - A Pontoise, sûrement pas. TANTE. - Alors? BERTRAND. - N'insistez pas Tantine. Je connais bien mon Bardu. Ça le gêne beaucoup. NADETTE. - C'est naturel, pas ? TANTE. - Ta, ta, ta ! Si je n'étais pas venue, c'était sa chambre, il y couchera! |
18bis DORIGNAC. - J'avance mon départ, voilà tout. TANTE. - Il ne manquerait plus que ça ! Monsieur Bardu, ne me contrariez pas... NADETTE. - Attention, voyons... TANTE. - Sinon, c'est moi
qui vais reprendre le train ! LES TROIS. - Ah ! Non ! Restez ! NADETTE. -- On t'a, Tantine, on te garde !!! TANTE. - Alors, il prend ma chambre. DORIGNAC. - Ce n'est pas une affaire de chambre, Madame, mais de lits. A l'extrême rigueur, je coucherais bien ici. A la réflexion, ça ne serait même pas plus mal si Nadette couche ici, j'entends si Nadette et son mari couchent ici, que j'y couchasse moi aussi. Mais les lits manquent. TANTE. - Mais non ! Il y
a trois lits. Juste ce qu'il faut. TANTE. Vous n'êtes vraiment pas doué pour le calcul. Comptez ! Moi dans le divan-lit. Un. Vous dans ma chambre. Deux. Mes canards dans la leur. Trois. DORIGNAC. - Les canards ! C'est ce que je ne veux pas! BERTRAND. - Je vous l'ai
dit, Tantine, c'est un délicat. DORIGNAC. - On ne peut pas plus à part ! BERTRAND. - Vous voyez ?
Aussi pense-t-il qu'il serait préférable pour Nadette et moi qui sommes DORIGNAC. Pas préférable. In-dis-pen-sa-ble ! BERTRAND. - Il est comme ça, que voulez-vous. Bon. Eh bien dans ces conditions, j'ai un lit de repos dans mon cabinet pour mes malades, je te promets que si Nadette est trop fatiguée, j'y coucherai. DORIGNAC. - Fatiguée ou pas! BERTRAND. - Entendu ! NADETTE. - Ecoutez, dans
ce cas tout se simplifie. J'aurai un lit pour moi toute seule. On ne va pas
déménager Tantine. Elle garde sa chambre. DORIGNAC. - Laquelle ? Je n'y suis plus, moi. NADETTE. - Celle du couple. DORIGNAC. - Dans votre chambre, Nadette ? Jamais ! Nous ne sommes pas mariés ! TANTE, riant. Il est trop drôle ! Hein ? Qu'il est drôle ! Elle n'y sera pas, voyons ! Elle veut dire : vous, dans la chambre du couple. Moi, dans la mienne. Elle, dans ce divan-lit. Et , fatiguée ou pas, son mari dans son cabinet. BERTRAND. - D'accord ? D0RIGNAC, méfiant. - Oui. Mais le cabinet ne donne-t-il pas sur cette pièce ? BERTRAND, excédé. - Si tu veux, je peux aller coucher sur le palier ! TANTE. - Décidément, je
repars au Kenya ! NADETTE, furtivement, à Dorignac. - André ! DORIGNAC. - Bien, bien ! Je ne dis plus rien. Vous êtes d'une extrême amabilité, Madame, c'est moi qui m'excuse. J'espère que tout le monde respectera les conventions. Et les convenances. TANTE. - C'est égal, quel mari prévenant il doit faire ! |
7 BERTRAND, donnant la valise à Dorignac. - Plus que moi, faut le dire! TANTE. - Dites, vous serez le parrain, j'espère ? NADETTE. - C 'est la première chose qu'il nous a proposée. TANTE , prend la valise. - Donnez ! Je vais vous la défaire ! ( Ils se ruent. ) NADETTE. - Non, non ! Moi... TANTE , à Bertrand. - Pauvre Bertrand ! Le lit de repos ! Enfin, il se rattrapera au pousse-café ! BERTRAND. - Ah I La valise ! J'ai eu chaud ! Soutien-gorge et bas de soie... Mon pauvre Monsieur, votre réputation était fichue ! DORIGNAC. - Enfin, m'expliquerez-vous ce pousse-café ? BERTRAND. - Oh ! Plaisanterie anodine. DORIGNAC. - Dites-moi, au moins ce Bardu, c'est quelqu'un de bien au moins? BERTRAND. - Très bien. DORIGNAC. - Parce que je ne veux pas passer pour n'importe qui. BERTRAND. - Elle vous l'a dit : mon autre moi-même. DORIGNAC. - Ah bon. BERTRAND. - J'y pense, vous devez avoir vos valises dans l'auto ? DORIGNAC - Oui. Et mon fusil. BERTRAND. - Votre fusil ?
Ah ! oui... La chasse. Et votre chien sans doute ? BERTRAND. - La peau du chien ? DORIGNAC. - Qu'est-ce que. vous me chantez ? L'appeau ? Vous ne savez pas ce qu'est un appeau? BERTRAND. - Je ne suis pas chasseur. DORIGNAC, expliquant. - C'est un petit sifflet qui imite le le cri de l'oiseau... Vous êtes sur un pliant...Vous soufflez dans l'appeau... BERTRAND. - La peau du chien? DORIGNAC. - Il y tient ! - Le sifflet. L'oiseau,leurré, vole vers vous... Et pan ! BERTRAND. - Alors, vous
êtes sur un pliant comme ça, vous attendez... comme ça... c'est la pêche ?
Bon. LAETITIA.- C'est celle de Mademoiselle. BERTRAND. - Ah ! ben oui, c'est toujours la même qui revient ! LAETITIA, posant la
valise. - Madame m'a dit que la donniez vous-même à Mademoiselle. BERTRAND. - Vu ! Encore pour moi ! Attendez Laetitia, il y a un nouveau petit changement. LAETITIA.- Je sais, Monsieur. Le Docteur croit que je suis zinzin, mais j'ai compris. BERTRAND.-- Ah ? Qu'est-ce que vous avez compris ? LAETITIA.- Si ce Monsieur prend la chambre du Docteur c'est que c'est lui qui va coucher avec Madame. |
LAETITIA. - Ah ! Pardon, Messieurs. BERTRAND. -- Vous préparez le divan, ici. Pour Madame. LAETITIA. - Laquelle ? BERTRAND. - Il n'y en a qu'une. Ma femme. Ça, ça ne change pas. DORIGNAC. - Ça changera. BERTRAND. - Ecoutez, ne l'embrouillez pas ! LAETITIA. - Et c'est avec le Docteur que Madame couchera ? BERTRAND. - Non ! Seule ! Moi je coucherai à côté dans mon cabinet de travail. LAETITIA. - Avec Mademoiselle ? BERTRAND. - Non ! Seul aussi ! LAETITIA. - Bien. Et la Tante seule aussi. BERTRAND. - Oui. LAETITIA. - Et moi aussi. Ce qui fait que tout le monde couchera tout seul ! BERTRAND. - C'est ça ! LAETITIA. - Est-ce qu'il y aura assez de draps? BBRTRAND. - Ne discutez pas ! Ah ! Attention.. Monsieur n'est pas celui que vous croyez. LAETITIA. - Oh ! Moi, je ne crois rien. BERTRAND. - C'est un ami. Un très grand ami ! LAETITIA. - Ça, j 'ai compris. BERTRAND. - Il s'appelle Monsieur Bardu. Bardu ! DORIGNAC. - Bardu ! Affreux ! LAETITIA, répète. - Bardu ! Très bien. Enfin , y a une chose que je comprends... C'est que Mademoiselle,elle, couchera à Deauville ? BERTRAND. - Oui. Appelez-la moi, tiens. DORIGNAC. - Qu'elle n'oublie pas mon fusil ! LAETITIA. - Quel fusil? BERTRAND. - Ne discutez
pas... Appelez-moi d'abord Mademoiselle. DORIGNAC. - Votre future femme ? Mais oui. Avec cette bousculade je n'ai pas eu le temps de vous féliciter. Elle est charmante. BERTRAND. - Charmante. Mais beaucoup plus vive que la première. Alors, si vous lui appreniez, vous ? DORIGNAC. - Quoi ? Pour Deauville ? BERTRAND. - Oui. Si c'est moi, et qu'il s'ensuit un pugilat, ce coup-ci je ne peux pas resservir à la tante un second pousse-café ! DORIGNAC. - Ce que vous me demandez là est très délicat. BERTRAND. Ecoutez, moi je viens de me mettre en quatre, on peut le dire, pour votre fiancée. Vous pouvez bien faire ça pour la mienne. (Pas en coulisses.
Bertrand s'éclipse. ) DOLLY. - Alors, Monsieur Dorignac ? Vous avez téléphoné à votre mère ? DORIGNAC, paniqué. - Mon Dieu ! Maman ! Avec cette bousculade, je l'avais complètement oubliée ! D'où puis-je téléphoner, Mademoiselle ? DOLLY. - Il y a un poste dans ma chambre, vous serez tranquille. DORIGNAC. - Votre chambre ? La chambre du couple ? Donc, la mienne. Parfait. DOLLY, ahurie. - La vôtre ? DORIGNAC. - Mille
excuses, Mademoiselle ( A Laetitia.) Ma fille, vous ! - Elle sait tout, elle
va vous mettre au courant. DOLLY. - Il ne va tout de même pas s'installer ici ? LAETITIA. - Si, Mademoiselle. DOLLY. - Et dans ma chambre ? Alors ça comme coup d'accélérateur ! Pour un Monsieur qui ne dépassait pas le 70 ! Et Monsieur est d'accord ? LAETITIA. - Oui. C'est lui qui a fait le partage des lits. DOLLY. - Des lits ? Ils ne vont pas tous rester coucher ici ? LAETITIA. - Tous. Sauf vous, Mademoiselle DOLLY. - Vous avez encore compris de travers, ma pauvre fille. Vous ne savez pas qui est Monsieur Dorignac ? Le fiancé de Madame. LAETITIA. -- Possible. Mais lui c'est Monsieur Bardu. DOLLY. - Qu'est-ce que vous chantez ? Il est à Pontoise, Monsieur Bardu. LAETITIA. - Alors, c'est un autre. DOLLY, réalisant. - Non ? Ils ne m'ont pas fait ce coup-là? Les canards jouent au papa et à la maman pour Tantine, et l'autre jobard complète le tableau en jouant les Bardu ! Et moi, dans tout ça, où est-ce que je vais coucher, dites-le moi ! LAETITIA. - A Deauville, Mademoiselle. DOLLY, hors d'elle. - A
Deauville ! Ah ! oui ! (Bruit de pas et de voix, on sent qu'ils reviennent
tous.) C'est ce qu'on va voir ! (Elle empoigne sa valise et se plante
vers le fond. On peut redouter le pire. Soudain, elle se ravise.)
Non ! Je pars. Mais je leur enverrai une carte postale. Et en couleur ! TANTE, portant une bouteille. - C'est un vieux rhum de derrière les cannes à sucre ! NADETTE. - Allez chercher
des verres, Laetitia DORIGNAC, bas. - Partie ? LAETITIA. - Oui, Monsieur. TANTE. - Je la gardais pour une grande occasion. BERTRAND, à Dorignac, bas. - Partie ? DORIGNAC. - Oui. BERTRAND. - Merci. TANTE. - C'est meilleur d'avaler ça que des gouttes pour le cur ! NADETTE, à Bertrand. - Partie? BERTRAND. - Oui. TANTE. - Ah ! Quel bon
petit week-end je vais passer moi, BERTRAND, dans sa barbe.
- La garce ! TANTE . - Madame Bardu ! Quelle bonne surprise ! BERTRAND. - Comme ça ! On
est au complet ! Pour la suite envoyer email et contacter la S. A. C. D. |
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