Un monsieur qui a brûlé une dame

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Un monsieur qui a brûlé une dame

Un monsieur qui a brûlé une dame

Anonyme

Eugène Labiche

      Sommaire [masquer]

        1 Personnages

        2 Scène première

        3 Scène II

        4 Scène III

        5 Scène IV

        6 Scène V

        7 Scène VI

        8 Scène VII

        9 Scène VIII

        10 Scène IX

        11 Scène X

        12 Scène XI

        13 Scène XII

        14 Scène XIII

        15 Scène XIV

        16 Scène XV

        17 Scène XVI

        18 Scène XVII

[modifier] Personnages

Comédie-vaudeville en un acte

Par Eugène Labiche et Anicet-Bourgeois

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre

du Palais-Royal, le 29 novembre 1856

Personnages

acteurs qui ont créé les rôles

Mistral: MM. Luguet

Loiseau: Brasseur

Bourgillon, notaire: Grassot

Blancminet, pharmacien: Amant

Antoine: Lacroix

Un postillon: Masson

La scène se passe chez Bourgillon, notaire à Vitry-le-Brûlé (Champagne).

[modifier] Scène première

Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond; à droite, l'étude; à

gauche, un pavillon servant à serrer des instruments de jardinage et à loger

Loiseau; chaises de jardin.

Blancminet; puis Antoine; puis Bourgillon; puis Loiseau

Au lever du rideau, Blancminet sonne à la grille du fond, personne ne répond; il

ouvre la porte avec effort.

Blancminet, entrant. - Ah çà! il n'y a donc personne?... voyons si à l'étude...

(Il frappe à la porte sur laquelle on lit: Etude.) Fermée!... Eh bien, il se

donne du bon temps, maître Bourgillon... le notaire de Vitry-le-Brûlé! (Appelant

en frappant sur une table.) A la boutique! à la boutique!

Antoine, paraissant au rez-de-chaussée de droite, la figure barbouillée de

savon. - Quoi qu'y a?... Tiens! c'est M. Blancminet, l'horloger.

Blancminet. - Pharmacien!... je suis pharmacien!

Antoine. - Oui, mais vous raccommodez aussi les montres!...

Blancminet. - Que veux-tu! ils se portent comme des boeufs dans ce pays-ci!...

alors, voyant que la pharmacie languissait... j'ai joint une seconde corde à mon

arc... la corde de l'horlogerie!

Antoine. - Un fameux métier!

Blancminet. - Pas mauvais! Malheureusement, il n'y a que cinq montres dans tout

le village... mais je m'arrange pour qu'il y en ait toujours trois en

réparation...

Antoine. - Ah! vous êtes un malin, vous!... aussi vous avez du foin dans vos

bottes!

Blancminet. - J'ai de quoi vivre... Ah çà! tout le monde est donc sorti

aujourd'hui?

Antoine. - Non, monsieur... je vas vous dire... c'est dimanche!... alors l'étude

se fait la barbe...

Blancminet. - Mais tu n'es pas de l'étude, toi, tu es jardinier?

Antoine. - Je suis jardinier... et second clerc!... je plante les choux et je

porte les dossiers... j'ai aussi ajouté une corde!...

Blancminet. - J'aurais bien voulu parler à ton patron.

Antoine. - Il est là... dans sa chambre... Appelez-le!... moi, je vas m'achever

ma barbe.

Il rentre.

Blancminet, appelant. - Ohé! Bourgillon!... Bourgillon!

Bourgillon, paraissant à la fenêtre de droite, la figure barbouillée de savon. -

Quoi?... qu'est-ce que c'est?

Blancminet. - Descendez!... j'ai du nouveau... je viens d'en apprendre des

belles sur le receveur!

Bourgillon. - Le receveur?... Attendez-moi une minute!

Blancminet. - Tiens! vous vous faites la barbe?

Bourgillon. - Oui... c'est dimanche... Appelez Loiseau, mon premier clerc, il

vous tiendra compagnie.

Il disparaît.

Blancminet, seul. - Loiseau! c'est un jeune homme de Paris... qui a un

lorgnon... Ca m'intimide! on dit qu'il va traiter de l'étude... Notaire à

Vitry-le-Brûlé!... une commune de cent quarante-huit habitants! c'est un beau

parti! j'ai prié Bourgillon de le sonder pour ma fille... mais je n'ose

espérer... il est si dédaigneux avec son lorgnon! Si je pouvais le tâter

adroitement... (Appelant à la fenêtre de gauche.) Monsieur Loiseau... (Parlé.)

C'est drôle, je suis ému... l'idée qu'il va paraître! (Appelant.) Monsieur

Loiseau...

Loiseau, paraissant à la fenêtre de gauche, la figure barbouillée de savon. -

Qui est-ce qui m'appelle?

Blancminet. - C'est moi... (Très haut.) Bonjour... bonjour, monsieur Loiseau!

Loiseau. - Que le diable vous emporte!... vous avez failli me faire couper!

Qu'est-ce que vous voulez?...

Blancminet. - Rien...

Loiseau. - Alors adressez-vous au second clerc... il est là-bas qui ratisse...

Blancminet. - J'étais venu simplement pour avoir l'honneur de vous souhaiter le

bonjour...

Loiseau. - Et c'est pour ça que vous me dérangez?... un dimanche de barbe!...

Bonjour! bonjour!

Il disparaît.

Blancminet, seul. - Qu'il est imposant et dédaigneux!

[modifier] Scène II

Blancminet, Bourgillon

Bourgillon, entrant très endimanché. - Me voilà, père Blancminet... Vous me

disiez que le receveur?...

Blancminet. - Il y a longtemps que je vous le dis, c'est notre ennemi! j'en ai

la preuve!

Bourgillon. - Qu'est-ce qu'il a encore fait, cet intrigant-là?

Blancminet. - Hier... je suis certain de ce que j'avance... il a donné un grand

dîner!

Bourgillon. - Bigre!.

Blancminet. - Et je n'en étais pas!

Bourgillon. - Ni moi non plus.

Blancminet. - Il avait invité toute sa coterie... Basin le coiffeur...

Bourgillon. - Qui est dentiste en même temps!...

Blancminet. - Encore un qui a ajouté une corde!

Bourgillon. - Etes-vous bien sûr de ce que vous dites?

Blancminet. - On a mangé des huîtres!... j'ai vu les coquilles à la porte! voici

l'échantillon!

Il montre une coquille d'huître.

Bourgillon. - Mâtin!... étaler ses coquilles d'huître!...

Blancminet. - Pour nous narguer!... il nous dit: "Je mange des huîtres, vous

n'en mangez pas!"

Bourgillon. - C'est une déclaration de guerre!

Blancminet. - Et, le soir, on a été en procession prendre le café chez Basin...

Bourgillon. - Un petit drôle!

Blancminet. - Un polisson... Eh bien, qu'est-ce que vous dites de tout cela?

Bourgillon. - Père Blancminet, il faut nous venger!... On nous attaque, nous

allons tirer le canon!... il me vient une idée des plus énergiques...

Blancminet. - Parlez!

Bourgillon. - Suivez-moi bien... vous allez donner un grand dîner aujourd'hui

même...

Blancminet. - Moi?... Pourquoi pas vous?

Bourgillon. - Impossible!... j'ai mal à l'estomac... et puis ma femme est

absente... vous inviterez l'huissier... vous m'inviterez moi, le notaire!... et

puis Loiseau.

Blancminet. - Avec son lorgnon?...

Bourgillon. - Enfin tout le barreau de Vitry-le-Brûlé!

Blancminet. - Ce sera magnifique!

Bourgillon. - Et au dessert... nous mangerons des huîtres, nom d'un petit

bonhomme!

Blancminet. - Mazette... c'est bien hardi.

Bourgillon. - Et nous éparpillerons les coquilles!... nous en ferons un trottoir

devant votre porte!... et le receveur sera obligé de marché dessus tous les

soirs en allant faire son whist!

Blancminet, effrayé. - Diable! diable! diable!... nous allons nous faire des

ennemis!

Bourgillon. - Vous reculez?

Blancminet. - Non!... mais, si vous n'aviez pas eu mal à l'estomac... j'aurais

préféré que ce fût vous... Enfin!... on se mettra à table à trois heures

précises...

Bourgillon. - J'y serai à deux...

Blancminet. - Ah! tenez, voilà votre montre... c'est quarante sous... c'était la

chaîne qui accrochait...

Bourgillon. - Encore! mais la semaine dernière...

Blancminet. - La semaine dernière, c'était la roue... nous avons la chaîne et la

roue...

Bourgillon, à part. - Il est un peu apothicaire, l'horloger!

Blancminet. - Ah çà! causons, de notre grande affaire... Avez-vous parlé à M.

Loiseau pour ma fille?

Bourgillon. - Oui... je ne comprends rien à ce garçon-là!... Au premier mot, il

m'a pris la main, avec son lorgnon, et m'a dit: "N'insistez pas de grâce... il

m'est impossible de me marier!"

Blancminet. - Impossible!... est-ce qu'il serait malade?

Bourgillon. - Je pense qu'il a un mauvais estomac... Quand il est avec moi, il

bâille toujours...

Blancminet. - Avec moi aussi.

Bourgillon. - Avec ma femme, c'est un autre genre... il lui lance des regards...

et ne lui parle que de légumes... de haricots verts, de petits pois... Je crois

qu'il ne peut pas la souffrir!

Blancminet. - C'est probable.

Bourgillon. - D'abord, s'il ne se marie pas... mon étude lui passera devant le

nez... il n'est pas assez riche...

Blancminet. - Et, s'il n'a pas l'étude, il n'aura pas ma fille!

Bourgillon. - Ne dites rien!... j'attends un autre clerc de Paris depuis quinze

jours pour traiter.

Blancminet. - Ah bah!... alors je le prends pour gendre!

Bourgillon. - Attendez donc!... vous ne le connaissez pas!

Blancminet. - Ça m'est égal, s'il achète l'étude, je le prends pour gendre...

car, voyez-vous, mon rêve depuis vingt ans, c'est de marier ma fille au notaire

de Vitry-le-Brûlé, quel qu'il soit!... J'ai juré de ne pas mourir sans être le

beau-père de cette étude...

Bourgillon. - Ambitieux!

Blancminet. - Vous n'êtes pas jeune... Eh bien, si vous deveniez veuf, je vous

prendrais!

Bourgillon. - Oh! merci! si je devenais veuf... je ne me remarierais pas...

Blancminet. - Oh! je sais pourquoi! vous avez toujours aimé à courtiser les

petites mères!

Bourgillon. - J'avoue que je suis amateur... les femmes me sont sympathiques!...

Blancminet. - Et ce n'est pas pour de prunes qu'on vous appelle le beau

Bourgillon!

Bourgillon, avec modestie. - Le fait est qu'à Vitry-le-Brûlé on a des bontés

pour moi!

Blancminet. - Ah çà! si votre jeune homme arrivait, vous me feriez prévenir...

je viendrais l'inviter à dîner... il verrait ma fille, qui revient aujourd'hui

de chez sa tante...

Bourgillon. - Soyez tranquille!

Blancminet. - A tantôt... on dînera à trois heures très précises. (A part.)

C'est égal, les huîtres... c'est bien hardi!

[modifier] Scène III

Bourgillon, Loiseau

Loiseau, entre par la gauche, très endimanché; il tient une canne dans une main

et un parapluie dans l'autre. - Quel temps fait-il?... patron, faut-il prendre

une canne ou un parapluie?

Bourgillon. - Où allez-vous donc?

Loiseau. - Je vais me promener sur la grande place... c'est dimanche...

Bourgillon. - Pour quoi faire?...

Loiseau. - Dame! je ne sais pas... tous les dimanches... on se promène sur la

grande place... on règle sa montre!

Bourgillon, à part. - C'est drôle, s'il n'était pas de Paris, je le croirais

bête... mais il est de Paris! (Haut.) Vous savez que nous sommes invités à dîner

chez Blancminet. (Bas.) Il y aura des huîtres!

Loiseau. - Des huîtres?... Cristi!... est-ce que c'est sa fête?

Bourgillon. - Non, c'est pour vexer le receveur... qui s'est permis d'en manger

hier.

Loiseau, stupéfait. - Le receveur en a mangé hier?

Bourgillon. - Il a invité Basin, le perruquier...

Loiseau. - Ah! oui!... le... qui a un si beau salon de coiffure... l'instar de

Paris...

Bourgillon. - Et toute la coterie...

Loiseau, ravi. - Ah!

Bourgillon. - Et aujourd'hui Blancminet lui riposte!

Loiseau. - Eh bien, Blancminet est un homme de coeur!...

Bourgillon. - Voyons, Loiseau... pourquoi ne voulez-vous pas épouser sa fille?

(Loiseau bâille. A part.) Encore son estomac!... (Haut.) La petite est

gentille... elle a trente-cinq mille francs de dot qui serviraient à payer une

partie de votre charge... je vous donnerais du temps pour le reste. (Loiseau

bâille. A part.) Quel fichu estomac! (Haut.) Voyons, répondez.

Loiseau, mettant son pince-nez. - Monsieur Bourgillon... le mariage est un

contrat synallagmatique...

Bourgillon, à part. - Il me récite le Code!

Loiseau. - Qui, pour être parfait, demande le consentement des deux parties.

Bourgillon. - Article 146...

Loiseau, continuant. - Les époux doivent être libres... français... et de sexe

différent...

Bourgillon. - Eh bien?

Loiseau. - Eh bien? je suis lié par des serments antérieurs et supérieurs...

Bourgillon. - Vous êtes marié?

Loiseau. - Non!

Bourgillon. - Alors?...

Loiseau. - De grâce, n'insistez pas... ce serait me désobliger.

Il ôte son lorgnon.

Bourgillon, à part. - Mais qu'est-ce qu'il a?

Loiseau. - Quand revient madame Bourgillon?

Bourgillon. - Olympe?... elle est chez sa marraine... je l'attends d'un jour à

l'autre... Tiens! ça me fait penser que j'ai reçu une lettre d'elle il y a trois

jours!... je ne l'ai pas encore décachetée!

Loiseau, indigné. - Oh!

Bourgillon. - Quoi?

Loiseau. - Rien!

Bourgillon, tirant une lettre de sa poche. - La voici!... voyons ce qu'elle me

chante.

Loiseau, à part. - "Me chante!" Butor!

Bourgillon, parcourant la lettre. - "Mon cher ami, je pense toujours à toi...

ton image me suit sans cesse." (Parlé en tournant la page.) Tra la la! (Lisant:)

"Ah! que l'absence est longue!..." (Tournant la page.) Tra la la!

Loiseau, à part. - Tra la la! une si belle blonde!...

Bourgillon, lisant. - "Post-Scriptum. - Tu diras à M. Loiseau que les potirons

sont mûrs."

Loiseau. - O bonheur!

Bourgillon. - Quoi?... pourquoi dites-vous:"O bonheur!"

Loiseau, embarrassé. - Parce que... parce que les potirons sont mûrs, et, comme

je les aime... (A part.) Une phrase convenue qui veut dire: Je vous aime

toujours, ô Loiseau! (Haut à Bourgillon.) Quand vous répondrez à Madame,

voudrez-vous avoir l'obligeance de lui dire de ma part que les épinards montent

à graine.

Bourgillon. - Pourquoi ça?

Loiseau. - Ça lui fera plaisir!

Bourgillon, à part. - Sont-ils bêtes avec leurs légumes!

Loiseau, à part. - Réponse ingénieuse pour lui dire que mon amour n'a plus de

bornes!...Nous empruntons aux légumes leur innocent langage!

[modifier] Scène IV

Bourgillon, Loiseau, Mistral

Mistral, entrant très précipitamment. - Au feu!... de l'eau!... de l'eau!...

Bourgillon. - Ah! mon Dieu!

Loiseau, perdant la tête. - Le feu! où çà? (Le reconnaissant.) Tiens! c'est

Mistral!

Bourgillon, à part. - Le jeune homme que j'attends!

Mistral, à part. - Cet imbécile de Loiseau!...

Bourgillon. - Eh bien, mais et ce feu?

Mistral. - Ne vous inquiétez pas... il brûle... toujours sur la grande route.

Bourgillon. - Vous avez incendié la grande route? c'est bien invraisemblable!

Loiseau. - On brûle bien le pavé.

Mistral. - Tel que vous me voyez, messieurs, je viens de mettre le feu à la

patache.

Loiseau. - Ah bah!

Bourgillon. - Sapristi! on venait de la faire repeindre!

Mistral. - J'étais monté près du conducteur pour fumer un cigare... il y avait

sur l'impériale des pièces d'artifice pour un imbécile de bourgeois de

l'endroit... mon amadou a volé dessus... et pif! paf! pan! fsst!...

Loiseau. - Un feu d'artifice! oh! que ça devait être joli.

Mistral. - Je n'ai eu que le temps de me jeter à bas... On a pu dételer les

chevaux, mais la voiture est en cendres!

Loiseau. - Plus de patache!... A la bonne heure! voilà des nouvelles!

Bourgillon, se frottant les mains. - Oui, c'est charmant! c'est charmant!

Mistral, à Bourgillon. - Comment! ça vous fait rire?

Bourgillon. - Dame! nous en avons si peu l'occasion.

Mistral. - C'est égal... voilà un cigare qui va me coûter cher! J'attends le

conducteur... je lui ai demandé l'addition...

Loiseau. - Quelle addition?

Mistral. - Puisque j'ai consumé un berlingot, il faut bien que je le paye!

Bourgillon, à part. - Il est honnête! (Haut.) Jeune homme, vous restez quelques

jours avec nous... vous prendrez connaissance des affaires de l'étude... qui est

très forte... j'occupe deux clercs... (Montrant Loiseau.) Voici le premier...

Quant à l'autre, dans ce moment, il plante des ciboules!

Mistral. - Comment?

Bourgillon. - Oui, il est à deux fins... Je vous laisse avec Loiseau.

Air

Je vais écrire à mon amour de femme

Que je ne fais que geindre et que jeûner,

Que j'ai du noir... enfin du vague à l'âme,

Puis nous irons gaillardement dîner.

Loiseau

Ah dites-lui que sa trop longue absence

Attriste tout, même le potager;

Puis ajoutez que le concombre avance:

A revenir, ça pourra l'engager.

Bourgillon. - Qu'ils sont bêtes avec leurs légumes!...

Ensemble

Bourgillon

Je vais écrire, etc.

Mistral

Ce mari-là se passe de sa femme

Et sans, je crois, ni geindre ni jeûner;

C'est un farceur; honni soit qui le blâme,

Entre garçons, j'aime fort à dîner.

Loiseau

Homme sans coeur, il rit loin de sa femme.

Moi, je voudrais, hélas! toujours jeûner,

Mais, pour cacher le secret de mon âme,

Il me faudra, comme eux, très bien dîner.

Bourgillon sort par la droite.

[modifier] Scène V

Loiseau, Mistral

Loiseau. - Ce cher Mistral!... tu vas donc devenir mon patron.

Mistral. - Oh! ce n'est pas encore fait...

Loiseau. - Voilà quinze jours que le Bourgillon t'attend... Tu as flâné...

Mistral. - Ne m'en parle pas! j'ai fait en route la rencontre d'une blonde

charmante... ça m'a retardé.

Loiseau, avec passion. - Oh! les blondes!

Mistral. - Plaît-il?

Loiseau. - Rien... continue...

Mistral. - C'est une veuve... elle n'a jamais voulu me dire son nom... mais, en

me quittant, elle m'a donné une bague de ses cheveux... Aimes-tu les blondes,

toi?

Loiseau, avec passion. - Oh! les blondes!

Mistral. - Eh bien, "Oh! les blondes!..." Après?

Loiseau. - Ah! mon ami, si tu savais!... Les épinards montent à graine.

Mistral. - Hein?

Loiseau. - Ah! non! tu ne comprends pas... oh! ma foi! tant pis... il y a trop

longtemps que je renferme mon secret dans le double fond de mon coeur... Ce

secret si doux et si cher, je ne pouvais le confier qu'au nuage qui passe, qu'à

la feuille que le vent emporte; mon pauvre coeur va pouvoir enfin s'épancher,

ouvre-moi le tien, Mistral, ouvre-le à deux battants, car ce secret, c'est toute

ma vie... Mon ami, je suis un scélérat... j'ai abusé de la confiance de cet

honnête Bourgillon, je lui ai dérobé ce qu'il avait de plus précieux.

Mistral. - Hein... tu as forcé sa caisse?

Loiseau, indigné. - Oh!... non...

Mistral. - Qu'est-ce que tu lui as pris?

Loiseau. - L'amour de son Olympe, oui, j'ai eu l'indélicatesse d'allumer une

passion tropicale dans le coeur de ma patronne...

Mistral. - Comment! madame Bourgillon?

Loiseau. - Chut!... J'ai juré de lui consacrer tous les jours qui me restent...

de ne jamais me marier, pour être à jamais son premier clerc? Voilà pourquoi je

ne veux pas épouser mademoiselle Blancminet!

Mistral. - Qu'est-ce que c'est que ça, Blancminet?

Loiseau. - Un horloger qui vend des sangsues!... Ah! je suis crânement pincé,

va!

Mistral. - Au moins es-tu récompensé de ta fidélité?

Loiseau. - Oh! non, c'est une chaste femme!... je ne possède encore que son

coeur...

Mistral. - Aïe!... Alors tu poses!

Loiseau. - Du tout!... Avant de partir, elle m'a donné une bague de ses cheveux!

Mistral. - Tiens!

Loiseau. - Et, ce matin encore, elle m'écrivait: "Les potirons sont mûrs."

Mistral. - Quels potirons?...

Loiseau. - Ah! non! tu ne comprends pas!

Bourgillon, entrant. - Antoine!...

Loiseau, apercevant Bourgillon qui entre. - Chut! le mari!

[modifier] Scène VI

Loiseau, Mistral, Bourgillon, Antoine

Bourgillon, appelant. - Antoine!... Antoine!...

Antoine, entrant avec un râteau. - Voilà, patron!

Bourgillon. - Ote ton tablier! je vais te présenter. (A Mistral.) Je vous

présente mon second clerc...

Mistral. - C'est un fort joli cavalier...

Bourgillon, à Antoine. - Remets ton tablier... et va me porter cette lettre à la

poste... c'est pour ma femme.

Loiseau. - Avez-vous pensé à lui dire...?

Bourgillon. - Que la chicorée monte à graine?...

Loiseau. - La chicorée!... Les épinards! pas la chicorée!

Bourgillon. - Ah! qu'est-ce que ça fait?

Loiseau, à part. - Sacrebleu! la chicorée, c'est la tiédeur!

Bourgillon, bas à Loiseau. - Faites-moi le plaisir de courir chez Blancminet...

et de lui dire que le jeune homme est arrivé. (A Antoine.) Et toi, cours à la

poste!

Loiseau, à part. - Sapristi! elle va me trouver tiède. C'est très ennuyeux.

[modifier] Scène VII

Mistral, Bourgillon

Bourgillon. - Maintenant que nous voilà seuls... causons un peu de notre

affaire.

Mistral. - De l'étude? Volontiers...

Bourgillon. - Je suis rond; pour vous, ça vaut cinquante mille francs.

Mistral. - Diable!

Bourgillon. - Vous dites?

Mistral. - C'est raide!

Bourgillon. - J'occupe deux clercs!

Mistral. - Oui... mais il y en a un qui plante des ciboules.

Bourgillon. - Le dimanche seulement... Vous vous plairez beaucoup ici... les

promenades sont délicieuses... et le sexe donc! elles ont toutes le nez

retroussé... ce qui est un signe.

Mistral. - Diable!... vous êtes un gaillard, vous!

Bourgillon. - Je ne m'en cache pas!... les femmes me sont sympathiques... C'est

même pour cela que je vends mon étude... parce qu'un notaire qui délire... ça

fait jaser... mais, une fois retiré... je serai libre!

Mistral. - Ah çà! et madame Bourgillon?

Bourgillon. - Elle est chez sa marraine.

Mistral. - Oui, mais elle reviendra... et si elle apprenait...

Bourgillon. - Elle? Allons donc! elle n'y voit que du feu... je l'entretiens

dans une douce erreur... je lui dis des mots d'amour... des bêtises... nous nous

faisons de petits cadeaux... Avant de partir, elle m'a donné une bague de ses

cheveux. (La montrant.) La voilà!

Mistral, à part. - C'est drôle! elle ressemble à la mienne.

Bourgillon. - De mon côté, je lui ménage une surprise... (Tirant un petit cadre

de sa poche.) Je lui ai fait encadrer ce daguerréotype... c'est un tableau de

famille... me voici sur le devant avec ma femme, Loiseau dans le fond...

Mistral. - Ah! Loiseau en est?

Bourgillon. - Pour faire la perspective.

Mistral. - La femme, le mari, et... le premier clerc!... c'est complet!

Bourgillon, lui mettant le cadre sous les yeux. - C'est gentil, n'est-ce pas?...

Mistral, regardant. - Ah! fichtre!

Bourgillon. - Quoi donc?

Mistral. - Cette dame?

Bourgillon. - C'est madame Bourgillon!

Mistral, à part. - Ma veuve! la belle blonde!

Bourgillon. - C'est une femme très sévère... je vous présenterai à elle!

Mistral, s'oubliant. - Ah! ce pauvre Loiseau!

Bourgillon. - Quoi?... ce pauvre Loiseau!

Mistral. - Rien! (A part et tout à coup.) Eh bien, et le mari donc!

[modifier] Scène VIII

Mistral, Bourgillon, Blancminet

Blancminet, entrant vivement, à part. - Loiseau vient de me dire qu'il était

arrivé!... (Apercevant Mistral.) Le voici!

Bourgillon, à Mistral. - M. Blancminet, un voisin...

Mistral, mettant son pince-nez et saluant. - Monsieur... enchanté!

Blancminet, à part. - Sapristi! il a aussi un lorgnon!... ça m'intimide.

Bourgillon. - Monsieur possède une fille charmante à marier...

Mistral. - Ah!

Blancminet, très ému, à Mistral. - Et même je ne vous cacherai pas que mon

ambition... (A part.) Diable de lorgnon! (Haut.) Serait de lui faire épouser un

notaire.

Bourgillon. - Le notaire de Vitry-le-Brûlé?

Blancminet. - Si c'était possible?...

Mistral, à part. - Ah ça! est-ce qu'il va m'offrir sa fille?

Il ôte son pince-nez.

Blancminet, à part. - Ah! il l'a ôté! (Haut, prenant courage.) Monsieur, je n'ai

qu'un enfant... je lui donne trente-cinq mille francs... et, si par hasard vous

étiez dans l'intention de traiter... on pourrait faire les deux affaires

ensemble.

Mistral, à part, gaiement. - Décidément, on me demande en mariage. (Haut.)

Monsieur...

Il veut remettre son pince-nez.

Blancminet. - Non!... ne le remettez pas!

Mistral. - Pourquoi çà? (Reprenant.) Monsieur, votre demande m'honore... mais,

n'ayant jamais eu la bonne fortune de rencontrer mademoiselle votre fille... je

demande à la voir un peu.

Blancminet. - Oh! c'est tout mon portrait!

Mistral. - Merci! ça suffit!

Bourgillon. - Son portrait... Allons donc!

Blancminet. - Au reste, vous la verrez... si vous voulez nous faire le plaisir

de dîner avec nous... (A Bourgillon.) J'ai fait acheter des écailles d'huître...

Bourgillon. - Comment, des écailles?

Blancminet. - Oui, c'est une idée qui m'est venue... nous les jetons à la

porte... et, pour le receveur, ça fera le même effet!

Bourgillon, à part. - Vieux rat!

Blancminet. - Nous nous mettons à table à trois heures précises...

Mistral, tirant sa montre. - Il en est deux!

Blancminet. - Tiens, vous avez une montre! (A part.) Ça fera six! (Haut.)

Va-t-elle bien?

Mistral. - Elle ne se dérange jamais!

Blancminet. - Soyez tranquille! nous dérangerons... (se reprenant) nous

arrangerons ça! Venez, Bourgillon, nous avons à causer du contrat.

Mistral. - Mais permettez.

Blancminet. - Si, si!... j'aime à mener les affaires rondement.

Blancminet et Bourgillon entrent à droite.

[modifier] Scène IX

Mistral; puis un postillon

Mistral, seul. - Ah çà! mais il me confisque!... c'est une souricière que ce

beau-père-là!

Le Postillon, entrant par le fond. - Monsieur?

Mistral. - Ah! c'est le conducteur de la patache!... Tu m'apportes l'addition?

Le Postillon, lui remettant un papier. - Voilà, monsieur.

Mistral, lisant. - "Pour une patache repeinte à neuf: six cent vingt francs."

(Parlé.) C'est salé! mais ça n'arrive pas tous les jours! Nous disons six cent

vingt francs?

Le Postillon. - Ce n'est pas tout, monsieur.

Mistral. - Quoi?

Le Postillon. - Lisez...

Mistral, lisant. - "Plus, pour une dame brûlée..." (S'interrompant.) Comment,

une dame?

Le Postillon. - Qui était dans l'intérieur.

Mistral. - Qu'est-ce que tu me chantes?

Le Postillon. - Je ne chante pas! elle est portée sur la feuille... il paraît

qu'elle était montée à Reims... et au relais mon camarade m'a recommandé d'en

avoir bien soin!...

Mistral, avec agitation. - Sapristi! j'aurais brûlé une dame! pourquoi ne

l'as-tu pas sortie de là?...

Le Postillon. - J'ai songé d'abord à mes chevaux; les chevaux, ça passe avant

tout!

Mistral. - Vite! courons... il est peut-être encore temps!...

Le Postillon, froidement. - Ah! monsieur... c'est inutile... j'ai cherché dans

les cendres... et je n'ai retrouvé que son dé. (Le lui donnant.) Le voici!...

Mistral. - Un dé! voilà tout ce qu'il en reste! (Au postillon.) Mais cours donc,

imbécile!... informe-toi de son nom!... qui elle est? d'où elle vient?... Cent

francs pour toi!... Va! va!

Le postillon sort vivement.

[modifier] Scène X

Mistral; puis Blancminet

Mistral, seul. - Nom d'une bobinette!... me voilà bien!... une femme brûlée...

Si je filais?...

Blancminet. - Ah! je suis bien aise de vous voir...

Mistral. - Moi aussi... Vous ne pourriez pas me prêter un cabriolet?

Blancminet. - Non... Je viens de causer avec Bourgillon pour son étude.

Mistral. - Oui... oui... (A part.) Si j'avais seulement un cheval?

Blancminet. - Il vous demandera cinquante mille francs... offrez-en quarante

mille.

Mistral, à part. - Avec une selle.

Blancminet. - A tout à l'heure, à dîner!

Mistral. - Merci... je n'ai pas faim.

Blancminet. - Vous verrez ma fille... elle doit être arrivée aujourd'hui par la

patache.

Mistral. - Hein?

Blancminet. - Avec un melon et un feu d'artifice.

Mistral. - Un feu d'artifice!

Blancminet. - Je vais faire servir!

Il sort.

[modifier] Scène XI

Mistral; puis Bourgillon; puis Loiseau; puis Antoine

Mistral, seul. - C'est elle!... c'est sa fille! ah!

Il tombe en défaillance sur une chaise.

Bourgillon, entrant, des papiers à la main. - Voici notre petit projet de

traité... Eh bien, qu'est-ce qu'il a? il se trouve mal? (Appelant.) Loiseau!

Loiseau!

Loiseau, entrant par le fond. - Quoi, patron?

Bourgillon. - Vite! du sel! du vinaigre!

Loiseau. - Vous voulez faire une salade?

Bourgillon. - Une salade! imbécile! (Montrant Mistral.) Regarde-le donc.

Loiseau. - Ah! mon Dieu! comme il est pâle... (Lui tapant dans les mains.) C'est

l'émotion... une première entrevue...

Mistral, revenant à lui. - Non! ce mariage n'est plus possible.

Bourgillon. - Pourquoi?

Mistral. - Pourquoi? Monsieur Bourgillon, je viens de brûler ma future!

Loiseau. - Hein?

Bourgillon. - Comment?

Mistral. - La malheureuse étant dans l'intérieur... le feu d'artifice en haut...

consumée!... plus rien!... Il est joli, mon voyage!

Bourgillon. - Sapristi! quel événement!

Antoine, entrant. - Monsieur!...

Bourgillon. - Quoi?...

Antoine. - C'est M. Blancminet qui envoie dire que la soupe est servie.

Il sort.

Mistral, vivement. - Je n'irai pas!

Bourgillon. - Voyons, du courage!... il compte sur vous...

Loiseau. - Ce serait impoli...

Mistral. - Non... je ne peux pas aller manger sa soupe et lui dire au dessert:

"Vous savez bien, votre fille?... Eh bien!..." Non, c'est impossible!

Bourgillon. - Diable!... alors il faudrait le faire prévenir, ce pauvre

Blancminet... lui annoncer l'accident... Loiseau!

Loiseau. - Ah! non! pas moi!... vous, patron!

Bourgillon. - J'ai mal à l'estomac! il faut quelqu'un d'adroit pour lui raconter

ça doucement... Allez... Loiseau, allez!

Mistral. - Allez, Loiseau.

Loiseau. - Comme c'est agréable!... dire doucement à quelqu'un que sa fille est

en cendres! (Mettant son pince-nez avant de sortir.) Enfin! j'y vais!... (A

part.) En voilà un dimanche!

Loiseau sort par le fond et Antoine rentre à droite.

[modifier] Scène XII

Mistral, Bourgillon

Bourgillon, à Mistral. - Voyons, du courage!... voulez-vous prendre une cerise?

ça vous remettra...

Mistral. - Merci! je n'ai pas le coeur aux cerises!

Bourgillon. - Certainement, c'est un malheur... mais ce n'est pas votre faute...

Ensuite, êtes-vous bien sûr?... car, enfin une femme ne brûle pas comme ça...

totalement!

Mistral. - Trop sûr, hélas! (Lui montrant le dé.) Voici ce qu'il en reste!

Bourgillon, vivement. - Hein?... un dé?... le dé de ma femme! je reconnais son

chiffre... O, B., Olympe Bourgillon... C'est ma femme!...

Il tombe en défaillance sur une chaise.

Mistral. - Allons, bon!... c'est sa femme à présent!

[modifier] Scène XIII

Mistral, Bourgillon, Loiseau; puis Antoine

Loiseau, rentrant gaiement. - Bonnes nouvelles! ta future n'est pas brûlée!...

je viens de la rencontrer... avec un melon! Elle avait pris le messager...

Mistral. - Ce n'est plus elle!... c'est bien plus affreux!

Loiseau. - Qui donc?

Mistral, lui montrant le dé. - Regarde!

Loiseau. - La patronne!... il a brûlé la patronne!

Il tombe sur une chaise de l'autre côté.

Mistral. - Et de deux!... Au secours!...

Il prend la carafe et les asperge alternativement pour les faire revenir.

Bourgillon. - Une si bonne femme!... si fidèle!...

Loiseau. - Qui nous aimait tant!

Bourgillon. - Je ne m'en consolerai jamais!

Il embrasse sa bague.

Loiseau, pleurant. - Ni moi!

Il embrasse sa bague.

Mistral. - Ni moi!

Il embrasse sa bague.

Antoine, entrant. - M. Blancminet renvoie dire que la soupe est servie...

Bourgillon. - Tu nous ennuies!

Mistral. - Animal!

Loiseau. - Nous ne sommes pas en train de manger!

Bourgillon. - Oh! non! (Très attendri.) Je souperai... mais je ne dînerai pas!

Antoine sort.

Loiseau. - Quant à moi... je ne souperai plus... et je ne dînerai plus!... je

sais ce qu'il me reste à faire...

Loiseau entre dans le pavillon à gauche.

[modifier] Scène XIV

Mistral, Bourgillon

Bourgillon, pleurant. - Heu!... heu!... rester veuf à la fleur de l'âge!

Mistral. - Il y a des douleurs qu'il ne faut pas chercher à consoler.

Bourgillon. - Oh! c'est bien vrai!... et je n'ai pas d'enfants encore! il me

faudra rendre la dot! (Pleurant.) Eheu!... heu!...

Mistral, étonné. - Hein?

Bourgillon, très ému. - Une si bonne femme!... je veux faire recueillir ses

cendres... et leur élever un monument!

Mistral. - Ça me regarde!

Bourgillon, larmoyant. - Oui... vous payerez le marbre... et moi... je fournirai

l'épitaphe... Eheu! heu!

Mistral, cherchant à le consoler. - Voyons, monsieur Bourgillon!... du

courage!... vous vous rendrez malade!

Bourgillon, éclatant en sanglots. - C'est plus fort que moi!... je sais bien

que, quand je me désolerais... ça n'y changera rien... Aussi... (Se calmant tout

à coup et mettant son mouchoir dans sa poche.) Voyons!... causons de la petite

indemnité, maintenant?

Mistral, étonné. - Quelle indemnité?

Bourgillon. - L'indemnité d'Olympe!... est-ce que vous croyez qu'on a le droit

de brûler une femme sans la rembourser à son mari?

Mistral. - Comment!... mais il est de ces pertes qu'on ne peut réparer!

Bourgillon, pleurant. - Oh! si!... on peut!...

Mistral. - Oh! non!

Bourgillon. - Oh! si... vous comprenez que, si je me portais partie civile,

j'obtiendrais de jolis dommages-intérêts.

Mistral. - Un procès!

Bourgillon. - Non!... pas de procès! respectons son ombre! il vaut toujours

mieux s'entendre à l'amiable... Ce n'est pas parce qu'Olympe était ma femme,

monsieur... mais elle valait son pesant d'or!...

Mistral, à part. - Diable! ce sera cher!

Bourgillon. - Elle était belle, spirituelle, gracieuse, élancée.

Mistral. - Elancée!... c'est-à-dire...

Bourgillon. - Qu'en savez-vous?

Mistral. - Mais, j'ai vu son daguerréotype!

Bourgillon, vivement. - Il n'est pas ressemblant!... le daguerréotype

grossit!... et puis je l'aimais!... oh! oui!... je l'aimais!...

Mistral. - Vous l'aimiez!... ça ne vous empêchait pas de lui faire des traits!

Bourgillon. - Moi!... la tromper!... un ange!... Vous parlerai-je de sa vertu?

Mistral, vivement. - Oh!

Bourgillon. - Quoi?

Mistral. - Rien!

Bourgillon. - Une femme qui ne s'occupait que de son mari... et de son

potager!... Demandez à Loiseau?... ils ne parlaient que de légumes.

Mistral. - Oh! Loiseau!

Bourgillon. - Quoi?

Mistral. - Rien! (A part.) Sapristi!

Bourgillon, sanglotant tout à coup. - Et vous croyez qu'un trésor pareil peut se

payer?

Mistral, vivement. - Non!... je ne le crois pas!

Bourgillon. - Voyons!... qu'est-ce que vous proposez?

Mistral. - Mais dame!... (A part.) Voilà une situation! (Haut.) Pensez-vous que

dix mille francs...?

Bourgillon, sanglotant. - Eheu! heu! allez toujours!

Mistral, à part. - Fichtre! (Haut.) Voyons... vingt mille!...

Bourgillon, sanglotant plus fort. - Eheu! heu!... allez toujours!

Mistral. - Ah! mais non!... je n'irai plus!... en voilà assez!

Bourgillon. - Alors rendez-moi ma femme chérie... ma moumoute!

Mistral. - Ce n'est pas ma faute aussi!... Pourquoi n'a-t-elle pas appelé,

crié!... Que diable!... quand on brûle, on crie!

Bourgillon. - Je suis sûr que le feu aura pris à ses jupes... et elle n'aura pas

osé se montrer en cet état-là!... quelle vertu!... Vous avez la petitesse de

m'offrir vingt mille francs pour un pareil trésor... mais il ne serait pas payé

trente mille.

Mistral. - Sapristi! c'est tout ce que je possède... je ne pourrai pas vous

acheter votre étude!

Bourgillon. - Ah! ça m'est égal... je la vendrai à un autre...

Mistral. - Trop bon!

Bourgillon. - Avez-vous les fonds?

Mistral. - Oui...

Bourgillon. - Je vais rédiger la petite quittance...

Mistral, résistant. - Permettez...

Bourgillon, lui prenant les mains. - Ah! vous êtes un honnête jeune homme!... je

vous pardonne! (Il sort en poussant un petit gémissement.) Hai!

[modifier] Scène XV

Mistral, Loiseau

Mistral, seul. - Trente mille francs, sans compter la patache!... décidément je

ne fumerai plus... les cigares sont trop chers!

Loiseau, entre, un réchaud de charbon sous le bras et une bougie allumée à la

main, il est en grand deuil et très sombre; à part. - Impossible d'exécuter mon

projet par là... il y manque des carreaux... (S'attendrissant.) Madame

Bourgillon m'avait promis de faire venir le vitrier!... et maintenant la pauvre

femme!... (Il pleure.) Ah! ah!...

Mistral, se retournant. - Loiseau!... (Montrant la bougie allumée.) Tu vas à la

cave?

Loiseau, très sombre. - Oui... à la grande cave!

Mistral. - Ah! mon Dieu! ce réchaud!

Loiseau. - Quand reviendra la pâle aurore... Loiseau sera remontée vers les

cieux!

Mistral. - Ah! bon! voilà autre chose!

Loiseau. - C'est plus fort que moi, vois-tu!... je ne peux pas lui survivre, à

cette femme!... Si tu avais connu toutes ses qualités...

Mistral. - Elle en avait trente mille!...

Loiseau, avec force. - Elle en avait cent mille!...

Mistral, lui mettant vivement la main sur la bouche. - Tais-toi donc!... si on

t'entendait!... (A part.) Il n'est pas chargé de les payer, lui!

Loiseau. - Une femme qui, hier encore, m'écrivait: "Les potirons sont mûrs!"

Mistral. - Eh bien?

Loiseau. - Et qui me donnait des bagues de ses cheveux!

Mistral. - Oh! si ce n'est que ça!

Loiseau, lui montrant sa main. - La voici!

Mistral, même jeu. - La voilà!... les deux font la paire!

Loiseau. - Hein!... la même nuance!... Que signifie?

Mistral. - Cela signifie que madame Bourgillon et la veuve que j'ai rencontrée

ne font qu'une seule et même blonde!... grand imbécile!

Loiseau. - Sapristi!...

Il souffle le bougeoir de toutes ses forces.

Mistral. - A la bonne heure!

Loiseau. - La coquette! la perfide! deux bagues!

Mistral. - Qu'est-ce que tu veux! il y a des femmes qui ont trop de cheveux!

[modifier] Scène XVI

Loiseau, Mistral, Bourgillon; puis Antoine

Bourgillon, entrant, à Mistral. - Mon ami... voici la petite quittance...

Mistral. - Saprédié!... en y réfléchissant... c'est bien cher!

Bourgillon. - Bien cher!... il marchande!... (Sanglotant.) Eheu! heu!

Antoine, accourant. - Monsieur!...

Tous. - Qu'est-ce qu'il y a?...

Antoine. - C'est une lettre de Madame...

Bourgillon. - Ma femme! (Regardant le timbre.) Datée d'aujourd'hui...

Loiseau. - Comment?

Mistral. - Elle n'est donc pas brûlée!...

Bourgillon, très froidement. - Ah! je suis bien heureux... bien heureux!... mon

Dieu! que je suis heureux! (Lisant.) "Mon cher ami, je ne reviendrai que dans

huit jours... fais-moi le plaisir de réclamer mon dé d'or, que je crois avoir

laissé tomber dans la patache... en la quittant à Reims."

Mistral, avec joie. - Ah!

Bourgillon. - "Post-Scriptum. - Surtout, n'oublie pas de dire à Loiseau que les

potirons sont très mûrs..."

Loiseau. - Ça m'est bien égal! (A Bourgillon, avec dignité.) Veuillez lui dire

qu'il a gelé blanc sur les épinards!

Bourgillon. - Mon Dieu! qu'ils sont bêtes avec leurs légumes!...

Mistral. - Mais cette dame que j'ai brûlée?... car enfin j'en ai brûlé une, à

qui est-elle?

Antoine. - Elle est à Basin... le perruquier!

Mistral. - Ah! le pauvre homme!

Antoine. - Il m'a chargé de vous remettre sa note.

Il donne un papier.

Mistral, à Bourgillon. - Voyons s'il est plus raisonnable que vous. (Lisant.)

"Pour une femme brûlée, soixante francs."

Loiseau et Bourgillon. - Soixante francs!...

Mistral. - A la bonne heure!... il est modéré!... il y a du plaisir à faire des

affaires avec cet homme-là!

Antoine. - Il ne veut pas gagner sur vous... il dit que c'est le prix de

facture!

Mistral. - Comment, le prix de facture?

Antoine. - Mais oui! c'est une femme en cire.

Bourgillon. - Ah! j'y suis!... une vertu décolletée... pour son salon de

coiffure, et tournant sur pivot... comme ça.

Mistral, avec joie. - Ah! sapristi!... je l'échappe belle!

[modifier] Scène XVII

Les mêmes, Blancminet

Blancminet, entrant furieux. - Ah! çà! venez-vous dîner, oui ou non?

Bourgillon. - Est-ce que nous sommes en retard?

Blancminet. - Je vous avais dit à trois heures précises... et il en est sept!...

la soupe est froide et le melon est chaud!

Loiseau. - Allons!

Bourgillon. - Un instant!... avant de partir, signons l'acte de vente pour

l'étude!

Mistral. - Au fait!... j'aime mieux signer ce papier-là que l'autre!...

Donnez-moi la plume.

Bourgillon, apercevant la bague de Mistral. - Tiens! vous avez une bague qui

ressemble à la mienne!

Mistral, à part. - Bigre!... (Haut, tout en signant.) Oui... ce sont des cheveux

de ma tante!... qui est blonde!

Bourgillon, tendant la plume à Loiseau. - Signez, Loiseau... comme témoin.

Loiseau. - Volontiers...

Bourgillon, apercevant la bague de Loiseau. - Encore une bague qui ressemble à

la mienne!

Loiseau, à part. - Mâtin! (Haut.) Ce sont des cheveux de mon oncle qui est

blonde... (Se reprenant.) Blond!... blond!...

Tous. - A table!... à table!

Choeur

Air

Cet incendie effroyable

N'est qu'un tout petit malheur;

Courons oublier à table

Notre commune douleur.

RIDEAU

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